Je ne savais pas encore que cet entretien d’embauche de l’année 1987 serait aussi déterminant pour ma feuille de paye que pour les rencontres, lectures, réflexions de toutes les années qui ont suivi. La fonction professionnelle que j’occuperai suite à cet entretien est un poste central pour rencontrer des personnes qui prenaient « Dieu au sérieux » – je cite ici le pasteur de l’Église protestante unie de Montpellier qui a prêché le vendredi 24 décembre 2021 au temple de Maguelone – et en font la mesure de leur vie.
Sans préjugé
Je suis arrivée sans préjugé ni jugement pour la fonction, ignorante de ce qui animait ce lieu, mais forte de mes compétences professionnelles acquises et convaincue que je pouvais les mettre à profit. On devrait toujours être attentif à ses mouvements intérieurs, aux rires et à la joie qui traversent les échanges, à cette sensation d’être à sa place, aux connivences des regards et à la sonorité juste des paroles. Et cela n’est peut-être pas si fréquent dans nos vies, de ressentir ce fil de laine soyeuse et douce, tissé entre notre intériorité et notre environnement.
Je ne savais pas ce qui se jouait en 1987, mais, en 2022, je sais que c’était un embarquement pour la traversée d’un cap. C’est l’après qui détermine la force de l’événement et lui en donne le sens. Et puis dans cette bibliothèque de la Faculté de théologie protestante de Paris, ce sont les feuillets roses ou jaunes agrafés et centrés dans la revue Évangile et liberté qui m’ont appris que la religion n’est pas soumission, mais liberté spirituelle ; que penser ne s’oppose pas à croire, que la réflexion sur la foi enrichit la connaissance de nous-même et notre relation aux autres et qu’il est possible de concilier un désir spirituel avec notre condition humaine du XXIe siècle.
Trouver la liberté
Depuis 1886, ce journal garde sa pertinence et le Mouvement libéral du protestantisme me semble toujours le seul appui théologique pour argumenter face à la montée du cléricalisme, à la radicalité théologique et à la violence de revendication d’un Dieu qui pourtant « n’appartient à personne et surtout pas à ceux qui croient le défendre en tuant, en menaçant et en excluant » (Pierre-Olivier Léchot, novembre 2020, en réaction au meurtre de Samuel Paty).
Tenir ensemble la raison, la foi et la liberté de penser nous conduit à ne pas laisser un homme, une femme d’Église dans sa toute-puissance illusoire, à les considérer comme des êtres critiquables et contestables et nous donne le courage de confronter à notre ici et maintenant les choix d’ordre spirituel. Le 83 boulevard Arago (Paris 14e ), en cette fin des années 80, a encore pour moi la force d’une figure spirituelle.