Les deux restauratrices de La Liberté guidant le peuple semblent avoir particulièrement bien réussi la restauration de l’œuvre d’Eugène Delacroix. Depuis le jeudi 2 mai, le tableau monumental a retrouvé sa place au Louvre. Coloré comme à l’origine, il révèle des secrets jusque-là inconnus aux visiteurs du musée parisien, après six mois d’absence. “C’est l’une des œuvres les plus emblématiques du Louvre, assure à RTL Sébastien Allard, le directeur du département des peintures du musée. “La restauration de La Liberté guidant le peuple s’inscrit dans un grand programme de restauration des grands formats du XIXe siècle, qui étaient des œuvres qui n’avaient pas été restaurées par le Grand Louvre, en raison de leur taille, en raison de la complexité des examens qu’il faut faire et aussi en raison du coût d’une telle opération”, souligne-t-il.

Ces toiles “étaient couvertes de huit, dix couches de vernis encrassé”, ajoute le responsable. Un vrai problème pour La Liberté guidant le peuple puisque la touche de Delacroix est la couleur. Une couleur qui avait été recouverte d’un vernis, jauni et oxydé. “L’œuvre était très clairement trahie, car dans cette œuvre de la liberté, toute la gamme chromatique repose autour du bleu-blanc-rouge, ce drapeau de la Révolution qui était redevenu en 1830 le drapeau de la France”, indique à la radio Sébastien Allard.

Un tableau peint en 1830

Figurant dans les manuels scolaires, reproduit sur des cartes postales, des affiches et autres supports, La Liberté guidant le peuple tient une place importante dans le cœur des Français. “On l’a connu sur les timbres, sur les billets de banque à l’époque des francs. Et puis, il réapparaît constamment sur des publicités. Il concentre en lui quantité d’imaginaires. On pense que c’est Marianne, on croit que ça représente la République ou la France de manière générale”, explique Côme Fabre, conservateur au département des peintures au musée du Louvre. Le spécialiste des peintures françaises du XIXe siècle rappelle que le tableau n’a pas été peint lors de révolution française de 1789, mais quatre décennies plus tard. “C’était en 1830 (lors des journées appelées Trois Glorieuses). La révolution de Juillet est un moment où les Parisiens se sont révoltés contre un roi, Charles X, et ses idées très réactionnaires : il voulait notamment supprimer ‘le droit de presse’. Pour faire simple, en 1789, les journaux obtiennent de pouvoir publier ce qu’ils veulent, c’est la liberté d’expression”, continue-t-il.

De nouveau présentée aux visiteurs, La Liberté guidant le peuple a subi un minutieux nettoyage. À l’aide de solvants et de bâtonnets de coton, les restauratrices ont ôté de multiples couches successives, posées lors des différentes restaurations. Mais, finalement, elles masquaient les couleurs du tableau. Avant de commencer la restauration, des analyses infrarouges, des radiographies et des ultraviolets avaient mis au jour des secrets du tableau.

Plusieurs modifications

Peint “rapidement”, le tableau a fait l’objet de nombreuses modifications. “On a découvert qu’Eugène Delacroix avait réorienté le visage de la Liberté, qui, au départ, regardait un des hommes, qui la supplie à ses pieds, puis finalement, il a changé, tourné son visage de profil pour lui donner un aspect plus divin”, rapporte Côme Fabre. Et d’ajouter : “On voit aussi qu’il a transformé la couleur de la robe de la Liberté, qui était grise au départ. Il a voulu certainement créer un point chaud autour d’elle, donc il a ajouté du jaune par-dessus, notamment au niveau du buste, et ensuite, le jaune est délavé à mesure qu’on descend le long des jambes.” Un nuage doré, presque comme une auréole, autour de sa tête, a été ajouté. Il se démarque des autres nuages. “On découvre aussi quantité de petits échos au drapeau bleu-blanc-rouge, qui avaient disparu avec le temps, mais qui sont disséminés partout”, poursuit le conservateur.

Des détails que les visiteurs du Louvre ont désormais tout le loisir d’aller observer. Le tableau, autrefois mal reçu par le public et certains critiques, est désormais l’une des stars du Louvre. Mais, en 1830, “Cette liberté, dérange beaucoup […], parce que d’habitude, une idée positive comme la liberté, on va la représenter à travers une femme propre, belle et assez gracieuse, assez féminine. Là, elle a une musculature d’homme, elle est très rougeaude, elle a des poils sous les aisselles, elle est en sueur et elle a des muscles qui font vraiment peur. Elle est armée jusqu’aux dents !” raconte Côme Fabre.