C’est l’œuvre du peintre Pierre Soulages (1919-2022), originaire de Rodez et qui, lors d’un voyage scolaire à 12 ans, découvrit la splendeur du bâtiment. Il y reçut son premier choc artistique : « Là, j’ai véritablement découvert l’espace intérieur de cette abbatiale. C’est ce jour-là que je me suis dit que je voulais être peintre, et non architecte. Ma sœur […] m’a offert une boîte de couleurs. Elle avait beau me dire : « C’est joli les couleurs ! », je préférais dessiner avec l’encre des encriers », racontera plus tard le peintre.*

Vitraux blancs contre vitraux colorés

Le visiteur qui entre dans l’abbatiale est frappé, voire choqué, par la luminosité du lieu qui contraste avec ce qu’on en attend : soit la pénombre des églises romanes avec leur peu d’ouvertures, soit l ’abondance d’imagerie et de couleurs des églises gothiques. Ici une lumière douce entre par les 104 fenêtres du bâtiment, ornées depuis 1994 des vitraux de Pierre Soulages. Le peintre a travaillé toute sa vie sur la lumière, notamment à travers ses fascinants tableaux « outrenoirs ».

Ici, à Conques, nous pourrions presque parler d’« outreblanc ». En effet les vitraux sont blancs, faits d’un verre opaque translucide où c’est la matière même du verre (ses reliefs, ses grains et ses irrégularités) qui forme le sujet. Ici pas de scènes bibliques mais un travail abstrait tout en obliques et en courbes. Ce n’est pas sans mal que la congrégation occupant les lieux accepte cet énorme chantier commandité par le ministère de la Culture en 1986. Les habitants du village ont aussi eu du mal à adhérer au projet, surtout que les anciens vitraux n’étaient là que depuis 1953.

Une prouesse technique

Il a fallu sept ans à l’artiste, travaillant en lien étroit avec le maître verrier toulousain Jean Dominique Fleury, pour arriver à créer ces verres épais, contenant des bulles, des rugosités et des reliefs à travers lesquels la lumière est fragmentée et se met au service de l’architecture du bâtiment. Car des détails d’architecture et de sculptures qui étaient cachés auparavant sont ainsi révélés. Voici alors un verre blanc mais « translucide » et non pas « transparent », un verre solidaire des murs qui le reçoivent, et qui éclaire et accompagne, sans les violenter, ni altérer, les chromatismes des pierres. L’artiste résume : « Le produit verrier auquel ma recherche a abouti est composé de deux états du verre, l’état cristallisé (opaque) et l’état liquide en surfusion (transparent). Des zones de cristallisation plus ou moins denses naissent des variations d’intensité de la lumière diffusée. »*

Invitation à la méditation Le but de Pierre Soulages est de créer un espace où rien ne vient distraire le pèlerin de la contemplation et de la méditation. Les vitraux sont opaques pour qu’aucune image extérieure ne vienne distraire le regard de l’essentiel. Le jeu de lumière toujours changeant, coloré par le grès rouge et ocre et les schistes bleus, crée ce que Soulages appelle un « souffle » et « une mélodie muette »**.

Quête artistique et spirituelle, les vitraux de Conques nous invitent au voyage.

* Conques. Les Vitraux de Soulages (Georges Duby, Christian Heck, Pierre Soulages, Jean-Dominique Fleury), Seuil, 1994.

** Pierre Soulages, Conques, une lumière révélée (Bruno Duborgel), éditions Bernard Chauveau, 2014.