J’imagine que c’est moi que vous cherchez ! » Alors qu’il revient de Valence, où il a enregistré une émission radio, la voix de Claude Fougeirol résonne dans les rues ensoleillées de « son » village de Beauchastel, en Ardèche. J’avais juste eu le temps de constater, dépité, que la boutique du photographe avait définitivement fermé ses portes…
Une retraite active
« L’heure de la retraite a sonné », me confirme Claude, « mais je crois que je continuerai à organiser des stages tant que je pourrai… » Nous nous retrouvons donc dans son studio pour poursuivre, installés sous cette lumineuse photo en noir en blanc du maître des lieux, tout sourire avec une grenouille en peluche sur le haut du crâne. « Cette grenouille, je crois que tous les élèves d’Ardèche la connaissent ! Elle me servait lorsque j’arrivais en classe pour animer des ateliers. »
fLa transmission semble au cœur de la passion de Claude pour la photographie ; il y a plus de 30 ans qu’il intervient dans les écoles ou qu’il organise des stages, pour les amateurs comme pour les professionnels. Le slogan de son site internet dédié aux formations le clame : « Il est important de transmettre ce que l’on sait, car nous ne sommes que de passage sur cette terre ! » C’est d’ailleurs aussi par passion de la transmission qu’il est l’invité, tous les deux mois, de l’émission qu’il venait d’enregistrer pour France Bleu Drôme-Ardèche lorsque nous nous sommes retrouvés. Pendant une demi-heure, il répond en direct aux questions des auditeurs : matériel, prise de vue, lumière, tirage… tout y passe. « J’aime transmettre tout ce que je sais faire, reconnaît simplement celui qui fut reconnu Meilleur ouvrier de France (MOF) en 1989, y compris – pour les professionnels – sur les questions de marketing : comment calculer ses tarifs, comment se vendre, comment trouver sa clientèle, etc. »
Le déclic de l’adolescent
Rien ne prédestinait Claude à faire carrière dans la photographie. Les hectares de l’exploitation familiale dans la vallée de l’Eyrieux semblaient plutôt le conduire vers une carrière dans l’agriculture des arbres fruitiers. Sous l’inspiration maternelle, il aurait pu poursuivre un engagement bénévole pour l’Église protestante : « je me souviens des après-midis passés avec ma mère à distribuer Réveil, boîte aux lettres après boîte aux lettres, dans les environs de Saint-Laurent-du-Pape », rigole-t-il. Ce porte-à-porte pour distribuer Réveil comme les visites dans les fermes ardéchoises isolées avec son père, délégué de la MSA (Mutualité sociale agricole), lui a cependant donné le virus de la rencontre. « J’aime prendre le temps de me promener et de discuter avec les gens. Parfois, c’est au bout de deux heures de discussion que je me permets de demander aux personnes si je peux les prendre en photo. J’ai besoin de découvrir leur « deuxième façade », ce qu’elles sont au fond d’elles-mêmes, ce qu’il y a dans leur regard ; c’est beaucoup plus intéressant qu’un sourire. Ce qui est important quand je photographie des gens comme cela, c’est que je m’engage auprès d’eux à leur montrer le résultat, à repasser 15 jours plus tard pour leur laisser un tirage. »
Le « coup de foudre » (selon ses propres mots) a eu lieu à l’âge de 12 ans, lors d’un stage organisé par la Fédération des œuvres laïques. À la suite de ce stage, il demande un appareil et un laboratoire pour développer lui-même ses clichés en noir et blanc… La raison paternelle et familiale tente de se faire entendre et la photographie est – dans un premier temps – laissée au rang de loisir, alors que Claude obtient un BTS commercialisation fruits et légumes. Lorsqu’il laisse un peu plus de place à sa passion, c’est encore de façon raisonnable en devenant commercial dans le monde de la photographie. Contre les avis de sa famille et de ceux qui l’entourent (« on ne peut pas vivre de la photographie », « la photographie, c’est à Paris, c’est tout »…), Claude finit par sauter le pas et part se former auprès de l’un des meilleurs du métier, à Biarritz : « Pendant cinq ans, je l’ai suivi partout, en prenant des notes sur tout ! »
L’humain et la nature
Paysage, portrait en studio, reportage, mariage et fête de famille, prise de vue aérienne, compositions en studio, photographie sportive, reportage sur des célébrités, concerts… Claude est un véritable touche-à-tout de la photo. Et même s’il a réalisé des photos de commande aussi improbables que « une chaussure de femme vernie noire brillante sans reflet inopportun ni déformation » pour le concours de MOF, on sent bien que ce qui anime Claude est justement ce qui est animé, ce qui vit, ce qui vibre… « Je n’aime pas tellement photographier la ville. J’ai besoin de voir la nature, de rencontrer des humains », confie-t-il. C’est grâce à un travail réalisé avec le Diaconat protestant Drôme-Ardèche qu’il a pris le temps de rencontrer et de photographier les exclus, les marginalisés : SDF, femmes battues… « Aujourd’hui, je sais que je peux m’asseoir avec un SDF pendant une ou deux heures pour partager sa vie, comprendre son parcours… Le travail avec les femmes battues reste pour moi l’un des moments les plus forts de ma carrière, témoigne celui qui dit avoir encore des choses à vivre : j’ai envie de réaliser un reportage en prison, ainsi que dans un couvent… »