Avec gratitude, leur Église le porte en grande estime comme le confesse l’un de leurs pasteurs.“Nous avons du travail, nous avons notre pain quotidien ; l’aide matérielle n’est pas nécessaire, apportez-nous la Parole de Dieu.” Tel est l’appel vibrant que le Dr Berron reçoit de ces premiers immigrés protestants arméniens rescapés du génocide de 1915 et qui se retrouvent à Marseille pour se créer une nouvelle existence. L’Église évangélique arménienne, née en 1846 à Istanbul en Turquie, était dynamique, prospère, florissante. A la veille du génocide de 1915, on comptait en Turquie près de 60000 protestants arméniens, 137 paroisses, 179 pasteurs, 2 facultés de théologie, des écoles primaires et secondaires. Tel un ouragan dévastateur, le génocide perpétré par le gouvernement Jeunes-Turcs, va balayer la présence arménienne de leurs terres ancestrales, les propulsant sur les chemins de l’exil. 

L’ACO venait à peine de voir le jour à Strasbourg en ce 6 décembre 1922, que l’année suivante, en 1923 les premiers Arméniens débarquent sur le port de Marseille. Les Arméniens sont orthodoxes apostoliques à 90%. Il existe parmi eux deux minorités : catholique (7%) et protestante (3%). Ce sont ces premières familles évangéliques qui vont demander l’aide du providentiel pasteur Berron et de l’ACO.

Un homme de compassion

Semblable à Néhémie qui était brisé devant les murailles démolies et les portes calcinées de Jérusalem, le Dr Berron a porté à bout de bras la douleur de ces immigrés arméniens traumatisés qui avaient tout perdu.

Jeune étudiant en théologie, je fus invité à Paris en 1970 au temple de la rue des Ternes par le pasteur Karékine Sislian, à assister à une conférence du Dr Berron. Et je n’oublierai jamais que c’est avec de l’émotion dans la voix et des larmes dans les yeux qu’il évoquait le parcours douloureux du peuple arménien.

Semblable au Bon Samaritain, il a su mobiliser toute une équipe de missionnaires en qui brûlait la même flamme. Il a visité chacune des villes où étaient regroupés les arméniens en partageant avec eux leurs souffrances, tout en leur annonçant l’espérance de la foi et de la consolation que le Christ crucifié et vivant leur apportait.

Un stratège

Très vite, tel un bon stratège, il a su profiter de son passage en Syrie, pour capitaliser les relations amicales qu’il avait tissées lors de son passage à Alep auprès des premiers réfugiés. Et il eut la bonne intuition de faire venir d’Alep en France, deux conducteurs spirituels arméniens, qui seront les deux premiers pasteurs des Églises évangéliques arméniennes de France.

Le 21 mars 1924 c’est Joseph Barsumian qui arrive à Marseille et qui pose les fondements des premiers cultes dans des conditions très difficiles. Très vite il rejoint les Arméniens de Lyon afin d’y fonder la première Église. Le premier culte arménien eut lieu le 2 août 1924. Le 24 mai 1924, un autre proche ami du Dr Berron est invité à poursuivre le travail commencé à Marseille : Hovhanès Ghazarossian. Il deviendra la cheville ouvrière de l’implantation et de l’organisation des Églises évangéliques arméniennes de France de Marseille à Paris.

Mais tout ne s’arrêtera pas là. L’Église arménienne en développement avait besoin de conducteurs spirituels afin d’accompagner et de nourrir la foi des fidèles de ces Églises naissantes. C’est ainsi qu’après un réveil spirituel au sein du groupe de jeunes du temple de la rue Delille à Marseille le 18 juin 1925, Dieu suscita des vocations pastorales et missionnaires. Et ces jeunes furent envoyés se former dans les Instituts bibliques de Nogent sur Marne et Vennes en Suisse.

Un bâtisseur et un organisateur

Après le centre-ville de Marseille, les familles arméniennes se sont répandues dans les banlieues. Là eurent lieu les premiers « cultes de cuisine ». Mais le peuple arménien tout au long de son histoire a été un peuple de bâtisseurs. Pour celles et ceux qui ont visité l’Arménie, ils peuvent témoigner que l’Arménie est un musée à ciel ouvert d’églises, de monastères, de croix de pierre.

Avant même de construire leur propre maison, le 2 octobre 1934, seulement 10 ans après leur existence en France, sera inauguré le premier lieu de culte à Saint Loup dans la banlieue est de Marseille. Et tout naturellement, au nom de l’ACO, c’est le Dr Berron qui présidera ce moment historique.

Puis l’ACO aidera à la construction de plusieurs autres temples. Nous lui devons aussi l’organisation administrative de ces Églises dont le premier synode a lieu à Lyon en 1927. Une aide matérielle substantielle a été apportée par le comité de l’ACO de France, mais aussi par le comité suisse, pour faire vivre ces églises et payer le salaire des pasteurs. Nous en sommes très reconnaissants.

En 1964, l’Union des Églises évangéliques arméniennes de France arrive peu à peu à son autonomie financière. Le soutien financier de l’ACO porte alors sur les œuvres caritatives de l’Union en faveur, en particulier, de l’Arménie et de notre association humanitaire : Espoir pour l’Arménie.

Joyeux anniversaire ! 

“L’auteur de ces lignes reconnaît volontiers, écrira Paul Berron*, que le contact continuel qu’il a eu avec ces paroisses arméniennes de France, ne lui a pas apporté seulement beaucoup de peine et de travail, mais aussi du bénéfice spirituel. L’ACO n’a pas eu à regretter de s’être chargée de cette tâche qui s’est ajoutée d’une façon inattendue à son travail en Syrie.”

Nous, protestants arméniens de France, remercions Dieu d’avoir mis sur notre chemin, à l’image du Dr Berron, des hommes et des femmes qui ont toujours été à nos côtés pour nous apporter amour, assistance et solidarité à chaque étape douloureuse de notre histoire, dont celle du récent et meurtrier conflit Arménie-Azerbaïdjan. 

Joyeux anniversaire pour ce siècle de ministère béni ! 

Par GILBERT LÉONIAN pasteur à Alfortville président de la Fédération des Églises évangéliques arméniennes d’Europe

* Une œuvre missionnaire en Orient et en Occident, origine et développement de l’ACO, par Paul Berron, 62 p.,1962, éd.Oberlin, en téléchargement libre sur action-chretienne-orient.fr