Une enquête auprès de dix-huit acteurs de l’ACO interviewés dans le cadre des célébrations du centenaire en témoigne : l’œuvre de Paul Berron est un pont entre l’orient et l’occident et l’amitié en est un ingrédient clé.
Jeune réfugié vivant à Marseille dans les années 1920, Nerses Khachadourian fait la connaissance de Paul Berron. Berron l’a encadré et leur relation est caractérisée par le respect mutuel et la coopération. Dans son autobiographie, Khachadourian écrit : « Dès le premier contact avec le Dr Berron, une amitié s’est établie entre nous ; celle-ci a grandi et s’est approfondie dans les années qui ont suivi. Il m’a accepté et il a partagé avec moi l’amour de la mission et la joie de servir Jésus-Christ. Et donc, par la grâce de Dieu, j’ai commencé à travailler avec l’ACO. »
Berron et Khachadourian n’étaient de loin pas les seuls à s’être liés d’amitié dans les cercles de l’ACO. Les missionnaires de l’ACO étaient souvent très proches de leurs collègues et les considéraient comme des amis. Certaines comme Alice Ulmer et Sarouhi Pachajukian, Hélène Hartmann et Samira Daabous, Nans Groeneveld et Amal Ishaq ont travaillé ensemble dans l’appréciation et le respect mutuels.
L’amitié au sein de l’ACO Fellowship
L’amitié est une relation entre égaux. En 1995, l’ACO est passée du statut d’organisation missionnaire traditionnelle à celui de communauté fraternelle d’Églises collaborant entre elles (« fellowship» en anglais). A partir de là, l’accent a été mis sur l’échange et la rencontre « sur un pied d’égalité», ce qui créait un environnement propice aux amitiés. Il s’agissait de pouvoir s’asseoir autour d’une table, chacun était entendu et le pouvoir était réparti de manière égale, quelles que soient les contributions financières des partenaires.
Même si le but de l’ACO restait « l’action », en particulier au Moyen-Orient, ce modèle de fraternité permettait une approche beaucoup plus personnelle de la mission. L’amitié est en effet implicite dans la définition de « fellowship », qui est, selon le Cambridge English Dictionary, non seulement un « groupe de personnes ayant le même but », mais implique aussi un « sentiment amical qui existe entre des personnes qui ont un intérêt commun ».
Les délégués du Moyen-Orient et d’Europe l’ont confirmé lors d’interviews. Anie Boudjikanian, une Arménienne du Liban qui a présidé l’ACO Fellowship, a déclaré : « Plus qu’une philosophie de vie, l’ACO a été pour moi l’école de « la foi en action », grâce au dévouement à Dieu, au service à ses enfants dans le besoin et à la profonde et sincère amitié chrétienne entre les frères et sœurs que j’ai rencontrés depuis octobre 1999! » Elle a ajouté : « L’ACO m’a apporté de multiples bénédictions: de profondes et sincères opportunités d’amitié au-delà des frontières, de l’Église du Christ à Alep jusqu’à Driebergen et Nyon. »
Jean-Claude Basset, missionnaire en Iran et représentant le comité suisse, a souligné l’importance du passage d’une société de mission à un Fellowship : « Après 25 ans, cette nouvelle formule a ouvert pour moi la voie à une authentique communion spirituelle, à une solidarité active dans les crises que traversent la Syrie, le Liban et l’Iran et à de solides amitiés. »
L’amitié va au-delà du partenariat
L’expérience de l’ACO n’est pas unique. Dans l’histoire des missions, les amitiés interculturelles ont souvent été des leviers de changement. Dans son livre Faithful Friendships *, Dana Robert, une Américaine historienne des missions, décrit l’importance de l’amitié que montrait Jésus dans son ministère. Elle donne de multiples exemples historiques d’amitiés qui ont franchi les frontières et qui ont permis à beaucoup d’être bénis. Elle admet que l’amitié ne peut pas guérir les maladies ou corriger les injustices. Des amitiés profondes peuvent cependant nous rendre plus sensibles aux injustices subies par nos amis de cultures différentes. Elles peuvent nous aider à voir la vie de leur point de vue et à agir en conséquence.
Selon Dana Robert, il faut aller au-delà du partenariat entre les Églises. « Les Églises parlent souvent de partenariat, de partenaires missionnaires et d’objectifs communs. Mais le partenariat reste superficiel. L’amitié va plus loin. » Elle explique que des amis ressentent une solidarité et une compassion plus profondes que des partenaires.
L’amitié pour aller de l’avant ?
A mesure que le Fellowship avance, de nombreux défis se dressent devant lui, en Orient comme en Occident. Les Églises membres sont vulnérables, pas seulement au Moyen-Orient où elles sont affaiblies par les crises et l’émigration, mais aussi en Europe où les sociétés se fragmentent et où elles ne peuvent plus compter sur le soutien de leurs gouvernements et d’une grande partie de la société. Comme l’a souligné le pasteur suisse André Joly, ancien président de l’ACO, même au sein des Églises, l’ACO n’est qu’un petit mouvement, « juste quelques grains de sel dans l’immensité des pâtes ecclésiales ». Alors que nous faisons face à ces défis et que nos institutions ecclésiastiques s’affaiblissent, des amitiés multiculturelles durables peuvent rassembler les Églises membres de l’ACO dans leur mission commune. Grâce à ces amitiés, la solidarité et le respect mutuels peuvent grandir, et les partenaires peuvent accomplir leur mission avec plus de force.
Bien sûr, il y aura toujours besoin de structures formelles et organisationnelles, ce en quoi le rôle d’ACO France, de l’UEPAL et des autres Églises membres reste capital. Sans ces structures formelles, nous ne serions pas en mesure de nous engager dans « l’action » missionnaire qui, selon nous, est toujours nécessaire, en particulier au Moyen-Orient. Ces structures doivent toutefois rester légères et faciliter avant tout la rencontre et la compréhension mutuelles, afin que l’ACO puisse continuer à jouer son rôle de pont entre l’Orient et l’Occident, entre les chrétiens d’Europe et ceux du Moyen-Orient.
Par Wilbert Van Saane pasteur et professeur à la faculté de théologie de Beyrouth, la NEST
*Faithful Friendships, Embracing Diversity in Christian Community, Dana Robert, 2019, éd. Eerdmans. « Des amis fidèles, inclure la diversité dans les communautés chrétiennes ».