Thomas Müntzer est né vers 1490. Après ses études de théologie, il est le premier en 1519 à être qualifié de « martinien », sobriquet qu’on donnait aux partisans de Luther. Celui-ci le nomme pasteur à Zwickau. Sa prédication radicale soulève la population locale et les autorités l’invitent à aller prêcher ailleurs. La même aventure va lui arriver à Prague et à Allstedt. Dans ce dernier cas, il doit fuir et trouve refuge à Mühlhausen. Là, il a une influence certaine sur l’organisation de la révolte des paysans qui sera durement réprimée par les princes et condamné par Luther.
Le Christ « amer »
Si Müntzer s’est très tôt rallié aux idées luthériennes, il s’en est aussi très vite écarté. Pour lui, la pensée de Luther est trop « intellectuelle », théorique. À quoi sert-il d’affirmer que Dieu, en Christ, nous rend « justes » si cela n’a aucune conséquence dans notre vie de tous les jours ? À quoi rime une doctrine qui prétend que quels que soient les actes que le croyant commet, il trouvera le pardon dans les bras de Dieu ? Ce ne peut être au mieux qu’un oreiller de paresse ! Et c’est là le plus vif reproche de Müntzer. Selon lui, Luther fait une trop large place au « Christ doux » et néglige le « Christ amer » : « seuls ceux qui ont expérimenté la mortification de la chair peuvent véritablement connaître le Christ. La foi qui justifie et qui apporte la connaissance du salut naît dans l’expérience du Christ amer » (Packull). C’est à ce prix que le croyant peut vivre une vie nouvelle, avoir une pensée nouvelle et poser des actes nouveaux.
Les « ânes pétants »
Mais il n’y a pas que sur le plan de la foi que Müntzer s’écarte des positions de Luther. Sur la Parole de Dieu aussi. Pour lui, l’Écriture ne contient que des récits d’expérience de la foi. La Parole de Dieu n’est pas accessible que par la seule Écriture. Sinon comment feraient « les analphabètes » (la majorité du peuple) ? Ils ne pourraient qu’être dépendants des spécialistes du texte biblique qui ne sont pour lui que des « ânes pétants » et des « cochons voluptueux » ! T. Müntzer plaide donc pour une connaissance directe, immédiate (sans aucun médiateur) de la Parole de Dieu, par l’Esprit. La Parole intérieure révélée par le Saint-Esprit a une autorité supérieure à celle des savants.
Théologie politique
Thomas Müntzer estimait que l’injustice et la tyrannie pouvaient empêcher la transformation intérieure : « La pauvreté force l’homme à se préoccuper des choses élémentaires de la vie ; la richesse pousse à l’opulence égoïste » (Packull). Il faut donc lutter avec énergie contre la pauvreté et contre la richesse. Et puisque les puissants ne veulent pas rompre avec leurs privilèges, il faut que le peuple abatte la tyrannie. Ce n’est qu’à ce prix qu’une société nouvelle pourra voir le jour, « basée sur l’aide et le partage mutuels », qui mettrait en œuvre une réelle communauté des biens et promouvrait l’égalité de tous.
Une pensée pillée mais jamais reprise
La pensée de Thomas Müntzer est originale. La transformation intérieure, l’importance de l’Esprit sont des traits que l’on retrouve aujourd’hui encore dans de nombreuses communautés évangéliques. Mais la pensée de Müntzer peut être actuelle et pertinente pour nous pour une autre raison. La distinction entre le « Christ amer » et le « Christ doux » n’est pas sans rappeler la différence que D. Bonhoeffer faisait entre « la grâce qui coûte » et la « grâce à bon marché ». Certes la grâce est abondante mais elle est aussi exigeante. Elle conduit à une transformation-sanctification. Sans pour autant envisager celle-ci comme une épreuve. Elle est un parcours qui prend du temps et qui demande de l’aide : celle de Dieu. Et de Dieu seul !