La grande majorité des chrétiens arméniens est orthodoxe et fait partie de l’église apostolique arménienne. En France, les immigrants arméniens se sont installés essentiellement à Marseille, Valence, Lyon, et jusqu’à Paris. Comment un organisme missionnaire protestant alsacien, l’ACO, en est-il arrivé à jouer un rôle déterminant pour que la communauté évangélique arménienne puisse s’organiser ?
L’Action Chrétienne en Orient voit le jour le 6 décembre 1922, et les premières missionnaires partent en Syrie pour venir au secours des réfugiés arméniens. Très vite, une demande de secours arrive du Sud de la France car après le Traité de Lausanne (juillet 1923) qui ne les mentionne même plus, les Arméniens cherchent refuge ailleurs. Apatrides, munis de passeports Nansen* comme unique pièce d’identité (à valeur surtout symbolique), ils sont les bienvenus en France comme ouvriers, mais lorsque surviennent des périodes de chômage, ils sont souvent montrés du doigt.
Le passage de l’Orient vers l’Occident est un grand bouleversement. Après le trauma du génocide dont ils sont les survivants, les Arméniens doivent trouver de nouveaux repères, notamment sur le plan spirituel. Parmi eux, ceux de confession protestante évangélique s’adressent à Paul Berron qu’ils ont connu lors de sa présence en Orient dans les années 1916-1919, notamment à Alep. Celui-ci réussit à faire venir de Syrie les pasteurs Jean Ghazarossian et Joseph Barsoumian qui vont s’occuper des paroisses nouvellement créées à Marseille et Lyon. Le comité de l’ACO formalise ce soutien en juillet 1924.
Des relations cordiales avec le protestantisme français
En 1926, l’ACO envoie la missionnaire Christine Wiedemann vers ces communautés. La solution est provisoire car il est évident que les Arméniens doivent se prendre en charge eux-mêmes. L’ACO organise la formation des cadres, en permettant à de jeunes gens prometteurs de suivre des études de théologie (et de français) à l’Institution «Emmaüs» de Vennes-sur-Lausanne.
En septembre 1927, les paroisses évangéliques arméniennes de France tiennent leur premier Synode. L’ACO s’engage à financer les postes pastoraux et participe à son administration. Ces paroisses fonctionnent de la même manière qu’autrefois dans l’Empire ottoman. L’Union des Églises Évangéliques Arméniennes de France (UEEAF) se présente comme une Église confessante : seuls comptent comme paroissiens ceux qui participent activement à la vie de la communauté. On y entre d’abord par décision personnelle. Cette caractéristique la différencie de l’Église Apostolique Arménienne (de tradition orthodoxe), de l’Église Catholique Arménienne et des Églises historiques françaises.
Les relations avec le protestantisme français sont cordiales. Paul Berron se déplace souvent à Paris, Marseille et Lyon. Il explique aux protestants français pourquoi il ne faut pas intégrer ces communautés dans l’Église Réformée de France (ERF). Il insiste sur le respect dû à ces immigrés ayant tant souffert, respect aussi dû à leur culture ecclésiale et linguistique. Convaincus, des pasteurs de l’ERF vont rejoindre le Comité de l’ACO.
La Suisse et la Hollande où existent des comités de soutien à l’ACO apportent leur part d’aide. Une forte communauté arménienne évangélique existe aux USA: elle dispose d’un organisme missionnaire, l’AMAA (The Armenian Missionary Association of America), qui va notamment soutenir ces communautés françaises. L’ACO collabore avec elle et à certains moments cofinance aussi des postes missionnaires en Syrie et en Iran.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Alsace annexée par l’Allemagne nazie est coupée des paroisses de l’UEEAF. C’est le comité suisse qui prend alors le relais. Il réalise l’exploit de multiplier les dons par dix durant cette période. Des colonies de vacances pour les enfants de ces communautés sont organisées et des produits de première nécessité sont fournis aux Arméniens nécessiteux.
Une histoire commune faite d’une amitié fidèle et mature
Après la Seconde Guerre mondiale, la situation évolue progressivement. Le travail de l’ACO se modifie en Orient tandis qu’en France les Arméniens sont désormais bien intégrés. Le soutien financier de l’ACO vers les communautés de l’UEEAF baisse progressivement et cette Union d’Église prend sa pleine indépendance en 1964. Le souvenir de Paul Berron va néanmoins perdurer ainsi que certaines coutumes fondées par lui: l’UEEAF a sa journée de la Règle d’Or le 2e dimanche de l’Avent, tout comme l’ACO.
En 1989, un violent tremblement de terre secoue l’Arménie. « Espoir pour l’Arménie », une association issue des paroisses de l’UEEAF et «Solidarité Protestante France Arménie» fondée par le pasteur Samuel Sahagian sont alors créées et soutenues par l’ACO.
Les commémorations sont aussi des occasions de rencontres : l’ACO a été invitée lors de plusieurs anniversaires, à Marseille, Lyon, Alfortville, et lors de la commémoration du Centenaire du génocide en 2015. De même, lorsque l’ACO a célébré son centenaire, ses amis arméniens ont participé à la fête à Strasbourg, et l’importante délégation qui s’est rendue à Paris a célébré le culte final dans la paroisse arménienne évangélique d’Issy-les-Moulineaux. En cette année 2024, c’est l’UEEAF qui fête son centenaire : son journal Panpère (« le Messager ») a ouvert ses colonnes à l’ACO durant toute l’année, et lors de la célébration du centenaire à Marseille, le directeur de l’ACO Mathieu Busch était présent. L’histoire commune de l’ACO et de l’UEEAF se poursuit ainsi par une amitié fidèle et mature.
Thomas Wild pasteur en retraite et ancien directeur de l’ACO