Interview de Stéphane Lavignotte, pasteur et amateur de cette littérature.
Stéphane Lavignotte, dans un article récent vous expliquez que les bandes dessinées ou les films « post-apocalyptiques », qui montrent le monde après une catastrophe, comme le fait la série Walking Dead, sont « une manière d’imaginer la mort du monde pour en avoir moins peur ». Pourquoi ?
Les films de fin du monde, apocalyptiques, qui se sont multipliés après la deuxième guerre mondiale, étaient des manières d’imaginer la catastrophe pour mieux l’éviter. Ils s’adressaient à leurs contemporains comme les prophètes de l’Ancien Testament : « si vous ne changez pas, voilà à quoi ressemblera la guerre atomique, la catastrophe écologique, la prise de pouvoir par la technique que vous aurez provoqué ; pour l’éviter, convertissez-vous ! » Les bandes-dessinées comme Walking Dead ou les films post-apocalyptiques – qui présentent le monde après la catastrophe – sont différents. Ce qui a détruit le monde soit n’est pas connu, soit est sans importance. Ils se développent depuis 30 ans pour penser et exorciser une autre peur : nous savons que nous devons tout changer, nous avons commencé à changer, mais c’est angoissant ! Comme les textes d’apocalypses juives et chrétiennes de la Bible écrits après la déportation en Babylonie, la destruction du temple, etc, ce sont des manières de penser des changements d’identité profonds.
Pour vous, imaginer la mort du monde passe d’abord par un certain « lâcher-prise ».
Dans Walking Dead, les hommes se consacrent à la « chasse » aux stocks abandonnés de conserves, de médicaments, etc. Ils s’accrochent à l’espoir de vivre « comme avant ». Les femmes et les enfants tentent, eux, d’inventer timidement d’autres choses : on les voit par exemple essayer de planter des potagers. Face aux changements – de mode de vie à cause de la crise écologique, de vivre ensemble dans une société de plus en plus multiculturelle, etc – on peut s’accrocher à l’ancien monde ou lâcher prise et tenter d’inventer du nouveau. Comme dans le livre de l’Apocalypse, on peut rester les yeux rivés sur le monstre et les signes de la catastrophe qui vient – les inondations annonçant la crise climatique – ou choisir de regarder à l’agneau blessé – les milliers de petites initiatives qui inventent un nouveau monde.
Il s’agit également de penser autrement les groupes qui forment la société et, plus généralement, comment on fait société ensemble.
Les grands groupes sont plus forts mais tombent souvent sous la coupe d’un tyran. Les petits obligent au consensus mais sont plus faibles et n’évitent pas toujours le gourou. Quelle bonne taille de communauté, de ville, d’Église ? Ce que j’ai appelé le syndrome « Ce n’est pas l’arche de Noé » – chercher à se sauver ensemble des gens qui à la différence de l’arche de Noé n’ont pas été choisis – rend attentif à ce que dans la vie on doit faire avec une diversité de gens, qu’on les apprécie ou pas. Cette interpellation sur l’illusion du « tri », sur les risques du « eux et nous » raisonne aussi bien avec les débats des premières communautés chrétiennes que ceux actuels sur l’identité nationale ou la communion fraternelle, après les débats sur les bénédictions de couples Lesbiennes Gays Bi et Transsexuel de France (LGBT).
Au fond, il s’agit de penser ce qui fait notre humanité.
Les zombies sont-ils encore des humains ? Qu’est-ce qui fait l’être humain ? Pour se défendre des zombies ou d’autres humains qui les menacent, les personnages sont parfois amenés à faire des choses horribles : est-ce encore se comporter en humain ? Plutôt qu’une essence, l’humanité apparaît en contraste avec ce qui la déshumanise. Cette angoisse traverse Walking Dead. Ne devrait-elle pas traverser davantage nos sociétés, quand on voit ce que subissent roms, migrants, musulmans ou SDF ?
Walking Dead : Après bien d’autres films et livres, la série de bandes dessinées de Kirkmann, Walking Dead (éditions Delcourt, adaptée à l’écran dans une série télévisée), véritable succès d’édition, montre un monde dévasté après une catastrophe et envahi par des zombies, des personnes ni vivantes ni mortes, en état de décomposition avancée, qui s’en prennent aux rares survivants. Cette série s’attache aux aventures d’un petit groupe, réuni autour de Rick, un ancien policier. Questions sur les tensions entre ordre et justice, les risques du clivage « eux et nous », sur ce que signifie être humain, etc. Cette série aborde bien des questions philosophiques, morales voire théologiques.