Par Christian Ginouvier, pasteur retraité

« Au matin du premier jour de la semaine, les femmes vinrent au tombeau. » (Luc 24,1) Il me plaît que les quatre évangélistes évoquent la résurrection avec retenue, sobriété. Moins avec force démonstrations, qu’avec des images dûment choisies, juste pour partager l’essentiel de l’incroyable nouvelle. C’est aussi ce que je retiens de nombre d’artistes, qu’ils traitent de Pâques ou non : d’une phrase ou à grands traits, ils arrivent à donner forme, à mettre en scène des ressentis, là où tantôt nous hésitons, tantôt nous en rajoutons. Claudio Magris explicite cela dans Utopie et désenchantement : « Si Dieu s’incarne, [c’est l’art, la littérature] qui peuvent raconter cette incarnation, en montrant l’absolu dans les gestes quotidiens […] qui peuvent éclairer le rapport entre la vérité et la vie, entre le mystère et la quotidienneté, entre l’individu singulier et la Babel de l’époque. »

Ainsi, qu’ils peignent une simple matinée ensoleillée ou un matin vraiment particulier, Hopper et Giotto montrent d’emblée ce que nous essayons de comprendre et de témoigner : il est des lumières qui vous re-suscitent !

Description de Morning Sun

Sortant des ombres et maléfices de la nuit, cette femme baignée d’un soleil matinal, étrangement comparée à Danaé, fille du roi d’Argos (visitée par Zeus qui lui a donné un fils, Persée), ressemble pour moi à Marie-Madeleine au matin de Pâques.

Regardez-la !  Campée sur son lit à contempler devant elle une lumière qui s’est levée à l’orient, une lumière qui doucement la réveille, la réchauffe et l’attire, au point peut-être de vouloir en approcher la source et la toucher, mais dont elle se contente, avec gratitude, d’être auréolée et remplie de bienfaits.

Rien d’anecdotique ni d’enjolivé chez Hopper. Comme dans nombre de ses toiles, il dessine la lumière, ses contours, ses trajets : comment elle nous visite, ce qu’elle suscite et met en jeu autour de soi et en soi. Que ce mélancolique qui, au début et à la toute fin de son œuvre se représente en clown triste, soit à même de rendre si évidente les offrandes de la grâce et du bonheur d’être là, à ce moment-là, n’est pas anodin. Comme il n’est pas anodin que Paul, souffreteux, poursuivi de toutes parts, « avorton de la foi », soit héraut de la grâce divine. Cela relève d’autant les vertus de ce qu’ils reçoivent et dont ils vivent.

Description de Noli me tangere

Mais j’en reviens à Marie-Madeleine : c’est bien elle, n’est-ce pas, que Giotto a peinte quelque 650 ans auparavant ?

Habillées de vêtements de la même couleur – ce vieux rose soutenu de l’amour – et dans la même pause ou presque, aux pieds de celui dont elles ont beaucoup reçu mais, au sortir (c’est le sens du mot « Pâques ») de nuits sans repos, heureusement surprises qu’il y ait à nouveau cette lumière qui vous arrive, réchauffe et rassure, ce Jésus relevé, re-suscité, désormais porte-étendard du salut du monde…

Là aussi on voudrait bien s’en approcher tout près, et même toucher  –  comme lorsque l’on se pince pour se dire que c’est « vraiment vrai » – mais dont il faut simplement se laisser auréoler, et vivre tous les dons !

Pratiquement plus rien chez Giotto (surtout à partir de sa période padouane) des personnages sacrés, typés, figés et dorés de l’art byzantin ou des primitifs italiens. Giotto peint des gens (même les anges) absorbés par leurs activités ou leurs rumeurs intérieures, et enfin qui savent se regarder. Cette humanisation des images se traduit aussi par des anachronismes, j’en donnerai deux exemples :

  1. Le caveau ressemble à ceux de l’époque du peintre, comme pour montrer que l’événement de Pâques est contemporain de chacun et le concerne quel que soit son « enfermement ».
  2. Jésus est encore dans le cimetière alors qu’il est annoncé en Galilée. Marie-Madeleine ne voit pas Jésus, mais, « se remémorant ses paroles » (Luc 24,6), témoigne qu’il n’en est pas moins là, auprès d’elle comme il l’est de chacun.

Pâques figurée

Qu’ils peignent Pâques ou simplement un beau matin, Hopper et Giotto, tout autant par le sujet représenté que par la manière de le représenter, que par tout ce que cela traduit de leur personnalité, montrent mieux que je ne saurais le faire ce que, pour moi, représente Pâques : le don profus d’une visite inattendue, inespérée.

À l’image, me semble-t-il, de ce poème d’Emily Dickinson dans Ses Oiseaux perdus (Éditions Unes, 2017, p. 71) : Le Matin, qui ne vient qu’une fois Envisage de venir deux fois – Deux Aubes sur un Seul Matin Donnent un prix soudain à la Vie.