Par Jean Luiggi, président honoraire de la SMERP, secrétaire-général de l’Académie de Montauban.
La solution apportée par Martin Luther du « Salut par la foi seule » sera le moteur d’un désir d’indépendance et permettra de se séparer d’une Église qui ne répondait plus aux aspirations du chrétien, à cause également, de ces pratiques religieuses qui se dégradaient, dans ce qu’on appela les « abus de l’Église ».
Le schisme avec l’Église romaine se voulut enfant d’une culture, d’un désir de révolte et d’un besoin d’indépendance. Les habitants de Montauban se retrouvèrent dans ces trois critères.
Les esprits s’éclairèrent, le Carme Michel de Affinibus, professeur dans une école nouvellement créée, se permit de commenter l’Épître de Paul. Le grand vicaire de l’évêque en frémit, cette petite phrase révolutionnaire longtemps dissimulée : « Seule la foi sauve, » lui donna le frisson et le Frère Michel fut rétrogradé à l’enseignement des tout-petits. Mais le ver était dans le fruit. La ville de Montauban qui possédait une organisation scolaire très élaborée, allait être le ferment des idées nouvelles en matière de religion.
Propagation
À partir de 1540, il sera interdit à tous les maîtres d’école et enseignants « de lire et interpréter publiquement les épîtres de Saint Paul et autres livres de la Sainte-Écriture et Foi catholique sous peine de prison ». Deux personnages importants vont prendre fait et cause pour la Réforme : François Calvet, qui cumule les fonctions de juge ecclésiastique à l’évêché et de curé de Montalzat et Hugues, son frère, conseiller au Sénéchal et gestionnaire des biens du clergé. François fut exécuté à Toulouse. Quelques années après Michel de Affinibus, c’est Jean de la Rogeraye, Charles de Bellefleur et surtout Jean Carvin, principal des Écoles de 1546 à 1558, qui furent parmi les principaux propagateurs de la foi nouvelle. Un homme va se dresser et donner une impulsion définitive à l’implantation de la nouvelle religion : Bernard Colom. Natif de Montauban, seigneur de Saint-Nauphary, Bernard Colom se rend à Paris afin de poursuivre des études de droit. Dans la capitale, il va fréquenter des réunions où l’on commente cette Réforme de l’Église. De retour à Montauban, il gagne quatre amis à sa cause : Pierre du Perrier, Pierre Cabas, Jean Montanier et Jean Constans qui deviendra pasteur. Ces cinq amis se réunissent dans une maison de l’Impasse d’Angleterre, située à l’époque hors les murs de la ville, pour prier, lire la Bible et chanter des psaumes. De cinq au départ, ils seront bientôt dix-neuf, gagnant à leur cause des personnages importants de Montauban : Jean Paulet, lieutenant au Sénéchal, Antoine Durant, lieutenant principal, Jean Dubosc, lieutenant particulier, Bernard Dallies, avocat royal, Clément, un moine augustin et Hugues Calvet, déjà cité.
Moralisation
Le 22 juin 1560, les pasteurs Le Masson dit Vignaux et Pierre Sestier vont à la Cène. La demeure étant trop étroite pour abriter autant de participants, des assemblées publiques vont voir le jour dans les fossés du rempart des Cordeliers, entre la Porte du Moustier et la Porte de Campagne. Un consistoire va bientôt être créé. Le consistoire, c’était la base de l’administration de l’Église, un organe de délibérations, de décisions et d’exécution. Il peut être comparé au conseil presbytéral actuel. À Montauban, à la fin du 16e siècle, le consistoire était composé d’une vingtaine de membres, des pasteurs, des anciens et des diacres, qui se réunissaient une fois par semaine, le mercredi, dans le temple, après le prêche. À cette époque, le consistoire veillait sur la moralité de chacun pour « faire rapport des scandales et des fautes, en connaître et en juger, avec les pasteurs… » C’est ainsi que les membres prièrent le seigneur de Montbeton de fréquenter plus assidûment les prêches s’il voulait participer à la Cène ; le procureur Guy fut admonesté pour être allé à la fête à Ardus; il en fut de même pour le procureur Coffinhal; Guy de Bar, seigneur de Meauzac, fut accusé d’avoir reçu des promesses de mariage et s’être substitué aux pasteurs; Guichard de Scorbiac, premier consul et ami d’Henri de Navarre, dut comparaître pour s’expliquer au sujet d’un bal qu’il avait donné dans sa maison… Il est vrai qu’avant de sévir, le consistoire mettait tout en œuvre pour susciter chez le coupable un sérieux repentir.
Expansion
Cette nouvelle église affirma publiquement son existence en accompagnant au cimetière Saint-Michel un de ses membres, un coutelier nommé Giles Pagès dit « Fine-Mine » et le dimanche suivant, les protestants s’emparaient de l’église Saint-Louis, c’était le 13 janvier 1561. Le 13 juillet de la même année, les ministres Crescent et Tachard prêchèrent dans l’église Saint-Jacques. En octobre 1561, les consuls et l’avocat Portus prenaient possession de tous les édifices religieux et des couvents d’où ils chassèrent moines et nonnes. Les religieuses de Sainte-Claire, chargées d’une hotte, furent contraintes à porter de la terre pour élever les fortifications, car on s’acheminait vers une guerre; les catholiques voulant reconquérir ce qu’ils avaient perdu. Vint le souci de défendre la ville contre l’armée royale, commandée par Monluc. Par trois fois, elle revint assiéger Montauban, la protestante, et s’en revint déconfite de n’avoir pu y pénétrer. On construisit des temples et la ville devint place de sûreté du protestantisme.
Rayonnement
Les montalbanais vont bénéficier de l’effort d’un homme qui va relever les courages et retremper les énergies : Michel Bérauld. Ancien dominicain il avait quitté sa robe de moine pour embrasser le protestantisme. Il sera rapidement considéré comme un des membres les plus éminents de l’Église réformée de France. Il créa en 1600 l’Académie de Montauban, véritable université où il exerça les fonctions de professeur de théologie. L’université de Saumur manquant de professeurs, Bérauld fut demandé et c’est son fils Pierre qui le remplaça. Un autre personnage occupera également une place importante dans la ville : le pasteur Daniel Chamier. Né dans le Dauphiné en 1565, fils de pasteur, il fit ses études classiques à Alès et ses humanités à Orange. Puis il partit pour Genève où il apprit la théologie. Pasteur à Montauban, il devient professeur à l’Académie qu’il va réorganiser.
Rébellion
À l’avènement de Louis XIII et au retour de la guerre, il deviendra le moteur de la rébellion huguenote. En 1621, au cours du siège, face à l’armée royale, il encouragera les troupes à ne pas faiblir, n’hésitant pas à aller sur les remparts pour entraîner les défenseurs de la ville, par des prières et des exhortations. C’est ainsi qu’un dimanche de septembre, il sera frappé par un boulet. Devant l’opiniâtreté de la défense, hommes, femmes et pasteurs, ils étaient quatorze dans la ville, le roi fut obligé de lever le siège. Il fallut la prise de La Rochelle pour que Montauban ouvre ses portes aux troupes royales, on était en 1629, petit à petit s’installa la contre-réforme jusqu’à la révocation de l’Édit de Nantes. Déjà, en 1683, la décision royale se fit impérieuse : « L’exercice de ladite RPR est interdit à jamais dans Montauban. » Le temple fut détruit en trois jours. En 1685, La Genève française n’existait plus.