Le terme « aumônier » apparaît en 1174 sous la forme « aumosnier » avec le sens de « la personne chargée de la distribution des aumônes ». Il acquiert au début du XVIème siècle le sens de « chapelain » et seulement au début du XIXème siècle le sens moderne d’ « animateur spirituel d’un établissement ou d’un corps spécifique [1] ».
L’accompagnement des détenus : une histoire chrétienne avant tout !
Ce qui a fondé formellement l’action des chrétiens en prison, c’est le passage de l’évangile de Matthieu où le Christ enseigne, à propos du jugement dernier, que les justes sont ceux qui visitent les malades ou les prisonniers comme s’ils visitaient le Christ lui-même[2].
L’apôtre Paul lui-même est allé en prison ; il le relate dans ses lettres et dit qu’il ne faut pas avoir honte de lui[3]. Dans la culture grecque, la prison entraine, pour celui qui la subit, un avilissement durable et, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le fait que Paul soit incarcéré à cause du Christ ne doit pas être considéré comme quelque chose de positif. La distinction que l’on pourrait faire entre un délit de droit commun et la prédication chrétienne appartient en propre aux modernes et est un anachronisme pour l’époque. Les Philippiens s’inquiètent devant l’incarcération de Paul et se demandent si cette incarcération est compatible avec son statut d’apôtre. Paul écrit : « Je veux que vous le sachiez, mes frères, ce qui m’est arrivé a plutôt contribué aux progrès de la bonne nouvelle »[4]. Dans la littérature de l’antiquité tardive, on ne trouve pas d’image positive de la prison. Paul semble être le premier auteur à présenter la prison comme signe et accomplissement d’une vie religieuse. La prison ne présente pas un aspect positif et se refuse toujours à toute esthétisation, mais, dans l’abaissement, se joue une part de la vérité religieuse que Paul véhicule.
Les premiers chrétiens s’intéressent donc au sort des prisonniers et considèrent que quoi qu’ils aient fait, Dieu ne les abandonne pas et qu’ils méritent d’être accompagnés dans leurs souffrances spécifiques. On constate d’ailleurs que durant le Bas Empire (284 – 476), certaines mesures législatives tentent d’améliorer la condition des prisonniers. Cet intérêt pour le sort des détenus est en grande partie dû à l’importance grandissante des chrétiens au sein de l’Empire. St Jean Chrysostome écrivait : « En effet, je vous prie, est-il rien de plus facile que d’aller voir les prisonniers ? Qu’y a-t-il de plus aisé et de plus doux ? Quand vous les verrez les uns dans les fers, les autres sordides, avec de grands cheveux épars, couverts de haillons ; d’autres exténués de faim, accourir à vos pieds comme des chiens ; d’autres ayant le dos tout déchiré, d’autres que l’on ramène de la place liés et garrottés ; passant le jour à mendier, sans pouvoir même gagner même le pain qui leur est nécessaire pour subsister, et le soir contraints par leurs géôliers à des offices si pénibles et cruels ; quand vous verrez tout ce triste spectacle, eussiez-vous le cœur plus dur que les cailloux, vous le quitterez plein d’humanité ; quand vous mènerez une vie molle et voluptueuse, vous deviendrez parfait philosophe, parce que, dans les calamités d’autrui, vous verrez, vous apprendrez à connaître la misérable condition de la vie humaine [5] ». L’accompagnement des détenus est donc une histoire chrétienne. La théologie chrétienne n’établit pas de correspondance entre justice des hommes et justice de Dieu ; la condamnation par les hommes n’entraine pas nécessairement les foudres divines. Jean Chrysostome l’exprime ainsi : « Le Seigneur ne nous commande pas d’assister les bons et de punir les méchants, mais d’avoir de l’humanité généralement pour tous et de répandre sur tous nos charités »[6]. Il commente ainsi ce verset de Matthieu : « il fait lever son soleil sur les mauvais et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et les injustes »[7]. Autrement dit, ce que Dieu demande aux hommes, ce n’est pas de se mettre à sa place pour juger les uns et les autres et faire le tri des bons et des mauvais, mais d’avoir la même considération pour les uns comme pour les autres. L’homme ne doit pas essayer de percer le secret de la justice de Dieu qui est opaque à l’œil humain. En poussant les portes d’une prison, l’aumônier considérera d’abord les prisonniers comme des enfants de Dieu.
à suivre…
[1] Dictionnaire historique de la langue française d’Alain Rey.
[2] Matthieu 25, versets 31 à 46.
[3] 2 Timothée 1, verset 8 : « N’aie pas honte de moi, prisonnier du Seigneur »
[4] Lettre aux Philippiens 1, verset 12.
[5] Jean Chrysostome (344-407), Homélie LX.
[6] Jean Chrysostome, op cit.
[7] Matthieu 5, verset 45.