Par Rémy Hebding, directeur de la collection « Figures protestantes » aux éditions Olivétan.

Certes, il existe d’autres moyens de transmettre l’héritage de la pensée d’inspiration protestante que le livre. Nous avons tous à notre disposition la technique du numérique rendant plus facile, et quelquefois plus attrayante, la diffusion d’un savoir jadis contenu uniquement dans les pages d’un ouvrage en papier. Les écrans de différentes dimensions semblent faciliter la recherche d’informations relatives à un sujet précis en nous dispensant d’avoir recours à une bibliothèque classique et encombrante. Et pourtant, même si le numérique semble plus en phase avec l’esprit du temps, le livre ne semble pas trop ébranlé par les techniques nouvelles de communication. Celles-ci accompagnent plus qu’elles ne concurrencent l’édition traditionnelle. Elles apportent une commodité supplémentaire à des habitudes de lecture déjà bien installées. Car s’orienter dans le numérique requiert des bases acquises en amont.

Ici comme ailleurs, la technique – aussi sophistiquée soitelle – ne peut créer de toutes pièces des bases de jugement et de réflexion. Par sa seule maniabilité l’objet pratique et directement accessible, le livre intègre en lui-même une forme d’utilisation plus proche de la concentration intellectuelle. Car l’héritage à transmettre – d’inspiration protestante ou autre – n’est pas fait que d’informations à enregistrer et à diffuser. Il s’agit bien d’autre chose : un certain rapport au temps, à ce que les humains prétendent être sacré, à leur facilité à ne discerner que l’accessoire au détriment de l’essentiel…

Transmettre un héritage, c’est tout cela et bien d’autres choses encore. C’est, plus concrètement, faire paraître des ouvrages traitant d’exégèse biblique, de théologie ou des questions de société. Les sujets sont vastes ! Car il s’agit aussi, et surtout, de renouveler le « catéchisme » des Eglises de la Réforme dans le but de se confronter aux questions d’aujourd’hui. Celles-ci évoluent, se transforment dans leur radicalité et leur intransigeance. Les réponses formatées des catéchismes traditionnels ne sont plus de règle dans un monde où les argumentations évasives et fuyantes n’ont plus cours.

S’il fallait seulement affûter des répliques à des interrogations contemporaines, l’entreprise pourrait facilement se concevoir. Or, dans ce nouveau cas de figure, la situation du questionneur liée au travail éditorial se voit aussi redé- finie. Il ne peut se limiter à jouer le rôle du candide se substituant au rôle du lecteur. La question semble quelquefois plus importante que la réponse apportée. Car celui-ci ne cache pas son besoin d’assurances religieuses, il réclame aussi des clés pour permettre de s’orienter par ses propres soins. Toute confession de foi transmise dans l’ouvrage ne doit pas clore le cheminement personnel du lecteur.

Pour ne pas s’enliser dans des problématiques catéchétiques hasardeuses sur fond de questions-réponses pouvant être souvent très décalées, le recours à des récits de vie problématisées – des biographies intellectuelles – semblent souvent plus appropriées. Alors, l’énoncé de l’ouvrage se présente de cette manière : comment des personnes, au cours des âges, ont fait de leur vie un chemin de transmission. Ou, en d’autres termes : comment, dans leur œuvre et dans leur vie, ces personnes nous offrent des éléments de réponses à nos préoccupations d’aujourd’hui.

Ainsi est née la collection « Figures protestantes », avec, pour ambition, présenter d’une manière concise et didactique, des itinéraires de foi. Nous allons ainsi à la rencontre de témoins d’expériences spirituelles pouvant aider chacun et chacune d’entre nous à nous situer face aux questions ultimes. Ces personnes ainsi décrites dans leur cheminement intime ne sont pas des êtres d’exception, des « saints » ou des « héros de la foi ». Ce ne sont pas des modèles à imiter, à vénérer. Ils ne présentent pas nécessairement des vies exemplaires avec lesquelles nous pourrions nous comparer en leur faveur. Ainsi, concernant les deux figures emblé- matiques de la Réforme, Luther et Calvin, la découverte du salut gratuit en Jésus-Christ chez le premier ne saurait faire oublier l’épisode des paysans comme celui des juifs. De même concernant le second au sujet de Michel Servet. Il ne s’agit pas d’enfermer ces « Figures protestantes » dans une apologie fuyant les critiques et ne visant pas l’éloge. Ne voir que les aspects positifs d’un personnage consiste à l’éloigner du lecteur au risque de manquer la rencontre avec son œuvre. A vouloir trop grandir la personne étudiée, l’auteur la rend inaccessible, propre à rejoindre les grands noms du dictionnaire. L’identification avec lui se fait plus facilement si aucun des aspects de sa vie n’est écarté. Car les êtres sont multiples. C’est cette multiplicité qui nous enrichit et qui en font nos semblables.

Conformément à cette démarche, la pensée des « figures » faisant l’objet d’un ouvrage de la collection doit pouvoir faire ouvrir à une critique. Chacune d’entre elles ne saurait être déclarée intouchable, comme mise à l’abri de la moindre objection au profit d’un discours louangeur. Écarter du récit les aspérités d’une existence ou d’une pensée, cela consiste à mettre à distance l’humanité d’une démarche. Les contradictions se révèlent souvent plus fructueuses à explorer que les cohérences d’une pensée.

Les auteurs de biographies intellectuelles n’ont pas à transmettre une image sainte mais le récit d’une vie riche en questionnements. Ceci afin de nous aider dans notre propre cheminement, dans nos propres hésitations.

En résumé, aider le lecteur à mieux comprendre une pensée dans sa complexité, son contexte culturel, ses contradictions. Ceci afin qu’elle puisse nous être utile pour notre vie d’aujourd’hui.