« Cette fois, ça y est ! », s’enthousiasme Étienne Tissot lorsque nous convenons d’un rendez-vous, « le ministère de la Défense vient de valider l’exposition et les dates ! » Déjà en 2020, nous avions évoqué cette exposition à venir au Mémorial de Montluc à Lyon. Étienne Tissot travaillait déjà depuis plusieurs années sur le projet avec ses deux comparses, Mireille Monod et Simone Nussbaum. « J’ai été sollicité par le président de l’association des rescapés de Montluc, Bruno Permezel, il y a déjà un certain temps, qui m’a proposé de travailler sur la question de la présence de protestants prisonniers de la Gestapo à Montluc. Ce qui n’avait jamais été fait. La question de l’appartenance confessionnelle des prisonniers n’était effectivement jamais mentionnée sur les fiches d’incarcération, sauf lorsque cela transparaissait de façon évidente par la profession : pasteur ou étudiant en théologie. »

Dévider les histoires familiales

Les trois historiens se sont donc plongés dans les boîtes d’archives, celles du Mémorial, celles des Archives municipales ou départementales et métropolitaines, à éplucher des registres et des fiches, parcourant des listes de noms de famille en espérant tomber sur des patronymes évocateurs. Ils ont également mobilisé le réseau des familles protestantes, sollicitant témoignages et archives familiales. « Nous avons utilisé la technique de la pelote, tirant sur les fils les uns après les autres, collectant patiemment les informations », souligne Étienne, ce que complète Simone : « nous avons fait un travail d’archiviste, pièce après pièce, collectant et recoupant les éléments. »

Une recherche à poursuivre

Le résultat de ce patient travail sera visible à partir du 24 août sur 25 panneaux présentant les portraits, les parcours et quelques pièces d’archives d’une trentaine de protestantes et protestants incarcérés par la Gestapo à la prison Montluc, entre 1943 et 1944, sous la sinistre direction de Klaus Barbie. L’exposition, qui a donc reçu l’aval de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre (ONACVG), porte le titre complet de Des protestants à Montluc, prison régionale (R1) de la Gestapo (1943-1944). « Nous n’avons pas cherché à être exhaustifs, ce qui aurait été impossible à ce stade de la recherche. Nous ne présentons pas les protestants, mais “seulement” des protestants, dans une période historique circonscrite », précise Étienne. Simone, Mireille et Étienne ont cependant conscience d ’avoir entrouvert une porte. Ils espèrent que la recherche pourra se poursuivre ; que d’autres témoignages leur parviendront pour compléter des notices biographiques ou pour partir sur les traces d’autres personnes incarcérées à Montluc. Cela pourrait également constituer un travail de recherche universitaire. Cette exposition ne constituait pas une fin en soi, mais devrait permettre de lever le voile sur une réalité mal connue, l’incarcération des résistants protestants lyonnais.

Des fragments de vie

Fiches d’incarcération des archives de Montluc, photos d’identité, brassards, carnets de recettes, courriers aux proches – y compris l’émouvante dernière lettre d’un prison- nier à ses parents, écrite sur un mouchoir brodé… les pièces rassemblées sont d’une grande diversité et donnent un visage à ces noms. « Nous avons souhaité que chacun des panneaux comporte une photo d’époque de chacune des personnes dont nous tracions le portrait dans l’exposition », précise Mireille. Ces portraits évoquent une grande diversité des protestants qui ont été arrêtés et incarcérés par la Gestapo, tant dans l’origine confessionnelle, l’âge que la profession. Figurent donc des étudiants – en théologie, par exemple –, des pasteurs, des enseignants, des officiers, des éclaireurs, des jeunes échappant au STO… ; des réformés, des luthériens, des adventistes, des évangéliques… « Nous n’avons pas trouvé trace [pour le moment, N.D.L.R.] de membres de l’Armée du Salut qui ont pourtant été nombreux dans la Résistance lyonnaise », complète Étienne.

Les familles contactées ont accepté avec joie de témoigner et Simone évoque la grande émotion de ces témoignages, comme celui qui avait déjà été publié dans Christianisme au XXe siècle lors d’un numéro spécial en 1985. Alice, femme médecin livrée à la torture de Schmidt, l’assistant de Klaus Barbie, évoquait : « Après ce que j’ai vu, je ne peux plus croire en Dieu, puisque les religions n’ont pas empêché cela. Pourtant, il y a un geste que je n’oublierai jamais, et qui me fait douter de moi quand je dis cela. À Montluc, dans la cellule qui était en dessous de la nôtre, les juifs mouraient de faim et il y a un petit gars qui était protestant. Il a été fusillé dans l’assassinat collectif des quelque 130 personnes de Saint-Genis-Laval. Il avait fait passer son pain, par une corde, à la cellule de dessous. Il a été pris. Grâce à lui, je crois que je ne pourrais plus dire que je ne crois pas en Dieu. » Des femmes et des hommes présentés dans l’exposition, certaines et certains ont été fusillés. Certaines et certains ont été déportés, quelques-uns survivant à la déportation, d’autres y perdant la vie. Certaines et certains ont été libérés le 24 août à la libération de la prison. Certaines et certains ont été libérés suite à l’examen de leurs dossiers, comme le pasteur de Pury, de nationalité suisse.