Vous venez de recevoir le Prix Européen de la bande dessinée chrétienne* pour Un bruit étrange et beau. D’où vient votre intérêt pour le religieux ?
Zep : De ma vie genevoise et de l’environnement protestant dans lequel j’ai grandi. Mes premiers albums questionnaient la possibilité de construire un monde plus juste, autour de valeurs communes. J’ai d’ailleurs suivi, à cette époque-là, des cours de la Faculté de théologie. Et j’ai fait des retraites dans des monastères, comme mon personnage.
Vous y avez puisé votre inspiration pour cet album ?
Ce sont des expériences qui m’ont marqué. Mais je n’ai pas eu le droit d’entrer dans le monastère de la Valsainte, où prend place l’action. Je me suis donc inspiré du documentaire Le grand silence de Philip Gröning. Le réalisateur y a filmé le quotidien des moines. Et j’ai aussi beaucoup échangé avec un ancien moine chartreux.
Avez-vous eu du mal à exprimer le religieux par le biais de la BD ?
Le dessin se prête très bien à exprimer le silence et la contemplation. On regarde, on observe.
Le thématique du silence est très présente dans votre album.
Plus qu’un album autour de la vie d’un moine, j’ai voulu parler du silence. Aujourd’hui, le silence est d’une violence incroyable tant il est rare. C’est un luxe presque inaccessible. Il fait aussi partie de ma vie de dessinateur. Je passe des journées cloitré dans mon atelier, à laisser de côté ma vie et à dessiner un personnage. Comment le silence transforme-t-il une personne ? Comment cette personne pourra- t-elle revenir dans notre monde bruyant et agité ? Ce sont ces questions que j’ai voulu explorer.
Pourquoi ce titre ?
C’est au moment où l’on tente de faire silence que l’on entend le bruit qui nous habite. Mon personnage pense qu’il doit tout dégager de sa tête pour trouver Dieu. Jusqu’au moment où il rencontre une femme… C’est un bruit étrange, mais c’est un bruit qui est beau. C’est ce en quoi je crois : nous ne sommes pas sur cette terre pour devenir des êtres spirituels, mais des humains, êtres de chair. Tenter d’échapper à notre humanité est une quête de souffrance. Peut-être sera-t-on spirituel, un jour, quand nous serons morts ! Mais sur terre, chercher à l’être, c’est faire les choses à l’envers.
Une vie entièrement consacrée à la prière a-t-elle encore un sens aujourd’hui ?
C’est le choix le plus transgressif que l’on puisse faire. La vie d’un chartreux est très radicale. Il n’y a plus aucun repère, aucun contact avec l’extérieur : ni radio, internet, télévision, journaux. Cette radicalité est une forme de violence contre soi. Et vivre dans un monde où il n’y a plus de femme, c’est très violent !
Le personnage de l’album doute beaucoup.
Les moines que j’ai rencontrés sont des gens qui assument le doute. Ils sont dans un cadre qui est déjà tellement religieux qu’ils n’ont pas besoin de faire semblant de l’être. Vous savez faire rire avec le dessin. Comment vous y prenez-vous ? Je suis convaincu qu’on peut rire de tout mais qu’il y a une manière de le faire. Je ne suis pas toujours en accord avec la manière de faire du dessin de presse, particulièrement en France. Il affirme : regardez comme les autres sont ridicules ! Mais cela crée des antagonismes entre les communautés. Nous n’avons pas mieux compris la vie que les autres. Nous sommes tous en train de chercher un sens à ce truc un peu absurde qu’est notre existence.
Avec cet album, vous sortez du registre de l’humour pour explorer un registre réaliste. Dans lequel vous reconnaissez-vous le plus ?
Dans Titeuf, il est souvent question de sa vision du monde spirituel. Qui est Dieu, est-ce qu’il existe, comment il nous regarde ? Ces questions touchent les enfants et ont toujours été présentes dans mes albums. Mais ce qui a été plus difficile, c’est d’oser sortir d’une écriture humoristique. Je pensais ne pas avoir le droit d’aller sur un autre terrain. Puis il y a eu un déclic. Gallimard m’a proposé de publier mes carnets de voyage, plus contemplatifs et mélancoliques**. Ils ont eu du succès et cela m’a encouragé.
La question de Dieu vous habite particulièrement ?
Je m’intéresse plutôt à la manière dont on réussit ou non à vivre ensemble. Sans forcément s’aimer, mais en évitant de se détester. Par le biais de mes histoires, je cherche à créer du lien entre les gens.
*Prix Européen Gabriel 2017 de la bande dessinée chrétienne. Ce prix a été décerné par le CRIABD, une association fondée à Bruxelles en 1985 et destinée à promouvoir la bande dessinée chrétienne.
**Carnets intimes, Gallimard, octobre 2011.
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Edition Genève du mois de Juin 2017