Portée par l’Alliance Biblique Française, cet objet exceptionnel (très beau cadeau de Noël !) propose près de 10.500 versets écrits à la main et illustrés par plusieurs centaines de copistes issus de la francophonie (Canada, Afrique de l’Ouest, Europe, Liban, île Maurice…). 

Il y a trois ans et demi, vous définissiez la francophonie protestante comme un « échange de dons ». Comment, à vos yeux, à évolué cet échange à l’heure de la pandémie ? 

La crise que nous traversons et avec laquelle nous allons devoir vivre encore un moment est à la fois révélatrice et accélératrice d’inégalités mais aussi de solidarités nouvelles. Je pense au drame des violences conjugales dont les chiffres ont augmenté redoutablement suite à cette crise Covid : les mariages forcés ont été multipliés par trois, triste combinaison de la fermeture des écoles et de la pauvreté ; l’augmentation du trafic sexuel … Ces violences sont telles qu’elles ont été qualifiées par le Secrétaire Général de l’ONU de « pandémie de l’ombre ».
Dans le même temps, des initiatives de solidarité sur ce sujet entre pays notamment francophones ont pu voir le jour grâce aux nouvelles technologies ; ainsi a été lancé en novembre dernier un site internet collaboratif qui rassemble des ressources pour les Eglises du monde entier pour lutter contre ces violences conjugales, en plusieurs langues dont le français pour la francophonie (standagainstdv.net).

Vous avez participé au projet de la « Bible manuscrite » porté par l’Alliance Biblique Française (1). Pouvez-vous nous en dire plus ? 

Lors du premier confinement, Thierry Legrand, doyen de la faculté de théologie de Strasbourg et moi-même avons eu l’idée d’adapter pour le contexte francophone une initiative d’un pasteur à St Gall en suisse alémanique (Coronabibel). Nous avons invité des personnes de tous âges, toute confession, tous métiers de devenir copiste moderne en recopiant un chapitre du Nouveau Testament ou des Psaumes ! La version proposée fut la nouvelle Français courant, interconfessionelle et francophone. En quelques jours à peine, quelques 500 copistes modernes se sont inscrits, de toute origine et ont recopié leur texte, l’ont décoré, enluminé ou accompagné de dessins. Près de 10.500 versets copiés à la main !

Le résultat ? Une Bible unique, composée d’écritures manuscrites très diverses, une œuvre collective qui crée du lien, une œuvre belle à voir et à lire, d’une richesse exceptionnelle.

Chaque copiste a renvoyé son chapitre avant l’été et toutes ces pages ont été reliées en cuir par une relieuse professionnelle en 3 volumes magnifiques de 1500 pages en tout. Également ces chapitres ont été numérisés et édités sous forme d’un livre disponible en librairie qui reproduit à l’identique la Bible manuscrite.
À une époque de bouleversement et de remise en question, cette initiative montre la Bible comme source d’espoir, de réconfort ; c’est ce dont ont témoigné de nombreux copistes dans des lettres ayant accompagné leur chapitre. Voilà comment un des 500 copistes a résumé son expérience :

« Recopier la Bible est une expérience spirituelle forte qui entraîne une appropriation personnelle du texte tout en étant dans une démarche collective.
Cela s’inscrit dans une histoire, dans une relation au texte qui nous vient de loin et que l’on continue à faire vivre en restant connectés ensemble à l’essentiel ».

Quels territoires de la francophonie ont-ils participé à la rédaction de cette Bible ? 

Plus de 35 nationalités sont représentées, en particulier de toute la francophonie, des hommes et des femmes de 7 à 93 ans. Evidemment il y a eu des copistes de France et des pays francophones proches comme la Suisse et la Belgique ou nos voisins Européens comme l’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Tchéquie, la Pologne, la Serbie ou la Russie. Mais la francophonie de la Méditerranée est aussi représentée avec des copistes de Tunisie, d’Algérie et du Liban ainsi que la francophonie africaine avec le Cameroun, le Niger, le Bénin, le Togo, le Congo Brazaville, la Gabon, le Burundi, la Côte d’Ivoire, Madagascar (avec un magnifique baobab en illustration !). Les plus lointaines copies nous sont parvenues du Canada, de Polynésie et de Maurice.

Une mention tout particulière pour un chapitre qui nous est parvenu de la RDC avec la copie du psaume 121 par le prix Nobel de la paix Denis Mukwege, l’homme qui répare les femmes : « je lève les yeux vers les montagnes… qui viendra me secourir ? Pour moi le secours vient du Seigneur qui a fait les cieux et la terre ! » Cet homme exceptionnel, menacé de mort, voulait ainsi témoigner de son espérance, combien la Bible est source de courage face à l’adversité.

Dans cette Bible, quel est le texte manuscrit et illustré qui vous a, personnellement, le plus touché ?

Ce projet a suscité l’intérêt de copistes de tous horizons, anonymes ou plus connus. Pour les plus célèbres, le président du Sénat, Gérard Larcher, ou le footballeur Olivier Giroud (sans autographe sur son psaume, désolé pour les fans !), le grand rabbin de France, les 3 coprésidents du Conseil d’Églises chrétiennes en France (le pasteur François Clavairoly, Mgr Éric de Moulins-Beaufort, et Mgr Emmanuel) ou encore Irène Frachon, la pneumologue qui a dénoncé le scandale du Médiator, alors en plein procès pour que les victimes obtiennent justice, et qui a copié le psaume 57 : « J’en appelle au Dieu très haut…  qu’il m’envoie son secours ! »

Une mention spéciale pour les diaconesses de Reuilly qui ont relevé le défi de recopier le Psaume 119, le plus long de la bible ! A 20, elles ont recopié ce psaume, le priant aussi pendant leurs offices.

J’avoue que chaque copie m’a touchée, de voir la diversité, l’effort, la persévérance que cela représentait : souvent les copistes ont dû s’y reprendre à plusieurs fois à cause d’un mot oublié, illisible ou mal orthographié ! J’ai été plus particulièrement touchée par le psaume de cette jeune migrante réfugiée en France, ou ce prisonnier copiant un chapitre avec son aumônier, cette classe de 5° recopiant avec sa professeur d’histoire, ce collégien scout traduisant son texte en morse, mais aussi ces personnes en situation d’handicap à la fondation John Bost se partageant la copie d’un chapitre, cette dame aveugle copiant un chapitre en braille, ou encore ces résidents d’une maison de retraite, ce médecin et ces infirmières du Grand Est ayant lutté contre la Covid,…en fait, impossible de n’en retenir qu’un !

Cette Bible francophone est présentée comme « Bible des confinés »… Elle pourrait aussi s’appeler « Bible déconfinée », car elle ouvre des fenêtres, des perspectives, des horizons. Quelles sont les pistes initiées par ce projet que vous avez le plus envie de poursuivre, et d’élargir ? 

Cette Bible manuscrite existe, profitons-en ! Pour prolonger cette belle aventure, l’exemplaire original de la Bible manuscrite est mis à disposition de tous, gratuitement, par l’Alliance biblique française. Il est possible de faire venir cet exemplaire original et organiser des événements, conférences, ateliers autour de la Bible, sa transmission, son actualité. Cette Bible a déjà été invitée pour des Journées du Patrimoine, dans une médiathèque, un Festival culturel biblique… Osons organiser dans notre ville un tel rassemblement avec d’autres intéressés, passionnés ou curieux du texte biblique. Et osons aussi lire la Bible ensemble. Il y a très peu de lieux où cela se fait, avec des personnes d’horizons différents ; des outils existent pour faciliter cette lecture commune, et la Bible manuscrite est un de ces catalyseurs.

Tous ces copistes nous ont révélé une Bible actualisée et partagée, rappelant la vie dont ce texte est porteur.

  • Voir le site : https://biblemanuscrite.fr