Associer Calvin à la Réforme en France et Luther à la Réforme en Allemagne est une évidence. Mais cette association relève aussi de la facilité. Car le calvinisme a profondément marqué l’espace germanique…. Tandis que la pensée du moine saxon a imprégné la francophonie ! Les historiens du XVIe siècle savent combien la traduction, en français, de maints écrits de Luther a joué dans les débuts de la Réforme en France.
Grâce à la Bibliothèque de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (BSHPF), le grand public a aujourd’hui l’occasion d’en découvrir un aperçu visuel saisissant. Créée en 1866, la bibliothèque de la SHPF, située à Paris (54, rue des Saints Pères), nous signale qu’elle rassemble 400 exemplaires d’éditions de Luther, dont 150 datent du XVIe siècle. A ce montant s’ajoutent plus d’une centaine d’écrits de Mélanchthon et d’autres théologiens luthériens. Ils sont issus pour la plupart des dons ou legs de trois collectionneurs protestants du XIXe siècle. Le premier est Pierre-Antoine Labouchère (1807-1873), peintre de l’histoire de la Réforme, à qui l’on doit notamment un Luther à la Diète de Worms (1857). Quant à Charles Read (1819-1898), comment oublier qu’il fut le premier président de la SHPF? Parmi les nombreuses trouvailles qu’il a léguées, une édition de 1517 (!) des 95 thèses de Martin Luther, considérées aujourd’hui comme l’acte de naissance du protestantisme. Enfin, les collections se sont enrichies aussi des apports d’Alfred André (1827-1893), bibliophile averti qui a sauvé de la destruction de nombreuses éditions rares en les faisant relier.
Luther et circulation francophones entre Suisse et France
Depuis le 17 novembre 2017, la bibliothèque de la SHPF a eu l’excellente idée de nous proposer dans ses locaux une sélection de ces éditions originales du XVIe siècle. L’exposition, qui sera proposée jusqu’au 18 janvier 2018, nous présente quatre vitrines. Les deux premières s’intitulent « La tempête Luther ». Elles nous donnent notamment à découvrir le texte en latin des 95 thèses de Luther « sur la vertu des indulgences », imprimé à Bâle en novembre ou décembre 1517, qui constitue le seul exemplaire de 1517 conservé en France ! Via Bâle et Neuchatel s’atteste ici le rôle des espaces francophones helvétiques, comme en témoigne par exemple cette transposition en français de l’Antithesis figurata vitae Christi et Antichristi, intitulée Faitz de Jesus Christ et du Pape… Ce texte où le discours domine l’image a été publié à Neuchâtel, ville réformée depuis 1530.
La vitrine n°3, intitulée « La marque de Luther », propose quelques textes d’enseignement majeur, en latin et en allemand, tandis que la vitrine n°4, titrée « Luther en France », se concentre sur la réception de Luther dans l’hexagone. Malgré l’interdiction des livres de Luther, on peut se rendre compte de visu grâce à cette exposition que quelques traductions de petits textes sont imprimées en langue française, sans nom d’auteur. Ainsi, cette Epistre comment on doibt prier Dieu, en tête d’une traduction des psaumes en français par Jacques Lefèvre d’Etaples (1450-1536), destinée au cénacle évangélique de Meaux. Un autre texte, Arrestz et ordonnances de la court contre Luther, les luthériens et leurs livres : et autres livres deffendus, permet de se rendre compte que très tôt, la mobilisation générale a été déclarée en France contre l’influence de Luther ! Edité en 1525, cet opuscule n’a manifestement pas atteint son but dissuasif.
Première francophonie protestante
18 ans plus tard, Jean de Tournes fait partie de ces imprimeurs, à Lyon, qui se risque à contourner l’interdiction générale de 1525 en publiant des extraits sous forme de prières. C’est le cas de Les prières et oraisons de la Bible, du luthérien Otto Brunfels (1488-1534), traduit en langue française. Depuis la lointaine Genève, où toute liberté est donnée pour éditer en français et nourrir la foi des premiers protestants, on s’en donne par ailleurs à coeur joie. Un pamphlet luthérien traduit, comportant des bois gravés, est ainsi présenté dans la vitrine. Signé Philippe Melanchthon et Martin Luther, il s’intitule De deux monstres prodigieux, à savoir d’un asne-pape qui fut trouvé à Rome en la rivière du Tibre l’an 1496, et d’un veau-moine nay à Friberg en Misne l’an 1528[1]. Publié par Jean Crespin (Genève), en 1557, ce livre traduit un original allemand daté de 1523. Parmi d’autres, il illustre la circulation des imprimés au cours de la première francophonie protestante qui se déploie au XVIe siècle, dans le sillage de Luther.
Exposition « Luther à la SHPF, vingt-cinq éditions rares du XVIe siècle »,
Paris, 17 nov 2017-18 janvier 2018 (54, rue des Saints Pères)
[1] Aujourd’hui, un titre court est un critère de qualité. Au XVIe siècle, c’était l’inverse !