D’une part, en France, la bienveillance du gouvernement. Entre la fin 2020 et mai 2021, les lieux de culture (théâtres, cinémas) sont restés fermés. Pas les lieux de culte ! Avec des dispositifs spécifiques (jauge, gestes barrière etc.), les protestants, catholiques, orthodoxes ont continué à pouvoir se réunir. L’autre facteur est la familiarité de beaucoup d’Eglises, en particulier protestantes évangéliques, avec la Révolution numérique. La chaîne francophone #OnEstEnsemble, et le magazine dédié, en est un des meilleurs exemples.

Lancée lors du premier confinement du printemps 2020, la chaîne Youtube #OnEstEnsemble a connu un succès fulgurant. Portée en particulier par Eric Célérier, pasteur et architecte de l’alliance Jesus.net, elle est active depuis le 18 mars 2020. Elle  cumule déjà, en quinze mois d’activité, 6,5 millions de vues et plus de 56.000 abonnés de toutes étiquettes confessionnelles. Les protestants évangéliques y sont les plus nombreux, mais bien des catholiques s’y retrouvent aussi, ainsi que des chrétiens d’autres horizons. Son principe ? « Du converti au connecté », il s’agit de rapprocher les chrétiens séparés par les rigueurs de la pandémie, en utilisant pour cela les ressources sans cesse perfectionnées du Net de la communication simultanée en « visio ». Les contenus, fréquemment renouvelés, sont basés sur l’enseignement, l’encouragement, l’information ; ils relient chrétiens, mais aussi communautés locales, vie une plate-forme explicitement créée pour nourrir la communion.

On n’est plus dans le seul modèle du « culte à la maison ». Via des dispositifs techniques sophistiqués et la dextérité des maîtres d’œuvre, on entre dans une dynamique d’interactivité, d’échange, qui fait passer le chrétien du statut de spectateur à celui d’acteur. Les fonctions du chat et des commentaires permettent en outre, à celles et ceux qui n’interviennent pas directement dans le « live », de réagir en direct et d’obtenir un retour sur les remarques ou questions postées. Parmi les vidéos les plus populaires vient en tête une émission spéciale Porte Ouverte Chrétienne (POC), en soutien à la megachurch évangélique de Mulhouse. Diffamée par la préfète du Grand Est (1) et bouc émissaire, dans certains médias, des débuts de la pandémie Covid19 en France, la POC trouve l’opportunité, dans cette émission, d’un échange, d’une écoute, d’un soutien et d’un partage. Dans les 14 mois qui suivent sa diffusion, plus de 80.000 personnes l’ont visionnée. Une nouvelle émission avec la POC, mise en ligne le 11 nov 2020, recueille  43.000 vues. Au rang d’autres émissions bien regardées, on compte notamment une émission avec Impact Centre Chrétien (ICC) du pasteur Yvan Castanou, le 7 décembre 2020 (14.900 vues), un « live » le 22 février 2021 avec le chanteur charismatique Gregory Turpin et Eric Célérier (12.600 vues), ou « Que se passe-t-il après la mort ? », émission de l’Evangile du jour proposée par Eric Célérier le 2 juin 2021, qui enregistre plus de 11.000 vues trois semaines après sa mise en ligne.

Un nouveau bimestriel pour « l’Eglise déconfinée »

Adossé à cette nouvelle chaîne, un magazine francophone version papier complète désormais l’offre en direction d’une « Eglise déconfinée », qui crée du lien par-delà les cloisons. Bimensuel, le magazine #OnEstEnsemble a sorti son premier numéro en avril 2021 (2). Le second, sorti pour juillet, a pour titre « Où sont les femmes ? ». Il est co-édité par ICNews et Progressif Media. Déployé sur 92 pages sans publicité (!), le n°1 place d’emblée la barre très haut. D’une qualité graphique exceptionnelle, écrit avec soin dans un format au goût du jour, très largement ouvert à la participation des femmes, il décline un menu riche et aéré, en 29 entrées combinant interview et témoignage (beaucoup), reportage (un peu), méditation/enseignement et mise en valeur de contenus francophones (rubrique « Culture et foi », p.76-77). Résolument chrétien, il ne met pas en avant d’étiquette, qu’elle soit protestante ou évangélique. Parole est donnée au chanteur catholique de pop-spi Grégory Turpin, appuyé sur « l’amour du Père » (p.84-85), ou au pasteur Claude Houde de la megachurch francophone Nouvelle Vie au Canada, qui affirme que « l’unité des chrétiens doit prévaloir » (p.66 à 69). La qualité a un prix : ce superbe bimestriel, dont le second numéro est prévu sur 104 pages, coûte 15 euros. Mais une « liste d’attente solidaire » est néanmoins prévue pour celles et ceux qui ont des fins de mois difficiles, et qui souhaiteraient recevoir le magazine. Heureuse initiative qui peut élargir le lectorat d’un magazine ouvert sur toute la francophonie chrétienne : un exemple significatif du nouvel œcuménisme kérygmatique (3) qui se développe depuis un bon quart de siècle : un rapprochement chrétien autour du message de Jésus-Christ et de pratiques partagées (prière, chant, évangélisation).

Feu de paille ? La « créationnite » évangélique génère beaucoup d’idées, de projets forts, mais peu durent et s’imposent dans le paysage (4). Le milieu éditorial a connu d’autres initiatives, comme le magazine Horizons évangéliques, né sur la disparition de Construire Ensemble (périodique baptiste). L’initiative ne dura que 4 ans, sans jamais atteindre les 1000 abonnés. Seul l’avenir dira si cette nouvelle offre ambitieuse au service d’une « Eglise déconfinée » atteindra durablement ses objectifs. Reste que les bases posées ici augurent de lendemains prometteurs. Le professionnalisme mis en œuvre, l’option choisie d’un haut de gamme très attrayant, et le large capital social (interconfessionnel) investi témoignent d’un projet mûr, loin de l’approximation ou de l’amateurisme. Avec en toile de fond une volonté de sourire et de partager l’espérance chrétienne, autour de ce slogan, thème du premier numéro : « N’ayez pas peur ».

(1) Sur la Matinale de France Inter le mardi 17 mars 2020, la préfète du Grand Est, Mme Josiane Chevalier, tient les propos suivants (verbatim): l’épidémie serait « partie d’un rassemblement évangélique qui a eu lieu dans le Haut- Rhin, avec plus de 3.000 personnes et un non-respect des mesures barrières : en résumé, tout ce qu’il ne faut pas faire ». Elle commente : «On paie le prix fort de cette non prise en compte des mesures de base». Ce sont des contre-vérités. En effet, le virus était déjà actif en France bien avant le rassemblement POC. Au moment du rassemblement, les mesures barrières préconisées par le gouvernement n’avaient pas encore été mises en place. Et l’interdiction de rassemblement de plus de 5000 personnes n’avait pas encore été édictée. Enfin, la semaine de jeûne et prière de la POC du 17 au 22 février 2020  était autorisée par la préfecture, dûment informée à l’avance.

(2)

(3) Voir « Vers un œcuménisme de la piété kérygmatique ? », dans Nouveaux territoires de l’œcuménisme (collectif), Le Cerf, 2019, p.67-84.

(4) La « créationnite » évangélique, ou propension à lancer de nouveaux projets, souvent éphémères. Cf. S. Fath, Du ghetto au réseau, Le protestantisme évangélique en France, 1800-2005, Labor et Fides, p.265-266.