Après 27 années de régime du président déchu Blaise Compaoré (protégé de la France), et quelques semaines seulement après un coup d’Etat déjoué, sans verser de sang, la population est allée voter dans le calme, dimanche 29 novembre 2015. Rien n’a perturbé ce scrutin à haute tension. Des millions de citoyennes et citoyens répartis dans 368 communes, certains brandissant fièrement leur carte d’électeur, sont allés choisir leur nouveau président. Le lendemain, 30 novembre, la tendance se dessine en faveur de Roch Marc Kaboré, du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), ancien premier ministre de Comparoé.

« Dans compromis, il y a promesse »

Une grande étape ! Mais là n’est pas le plus important. Ce qui force l’admiration dans ce processus de transition démocratique, amorcé après la seconde révolution burkinabé d’octobre-novembre 2014 qui a chassé Blaise Comparoé du pouvoir, c’est le caractère profondément pacifique de la gestion des tensions. La forte conflictualité des enjeux aurait pu, dans beaucoup d’autres contextes nationaux, déboucher sur une guerre civile violente. Ici, elle n’a pas fait couler le sang du peuple. On s’est pourtant approché parfois de situations aux limites de la guerre, comme lors du coup d’Etat manqué du général Diendéré, en septembre 2015. Mais les acteurs de la société civile et politique burkinabé ont su conserver l’aptitude au dialogue, le sens de la négociation, le souci de la paix civile et de la concorde.  Dans compromis, il y a « promesse », rappelait récemment le pasteur français Michel Bertrand dans les colonnes de l’hebdomadaire Réforme (1). Cette promesse de paix qui fleurit dans le dialogue aurait-elle a trouvé, au Burkina Faso, une terre d’élection ? Mais pourquoi donc ?

Cet Etat d’Afrique sub-saharienne peuplé de 17 millions d’habitants n’est pourtant pas parmi les mieux lotis. Cette ancienne colonie française (jadis Haute Volta)  vibre d’une jeunesse entreprenante confrontée aux difficiles défis du développement. Le pays, dépourvu de ressources naturelles à forte valeur ajoutée, fait partie des dix plus pauvres du monde selon les critères de l’ONU. L’Etat, bien présent, mais fragile, a connu des vicissitudes post-coloniales partagées entre françafrique et aspirations révolutionnaires, via la figure héroïque de Thomas Sankara (1949-1987).

C’est sans doute du côté de la société civile burkinabé, des civilités communautaires et de solidarités locales, qu’il faut trouver un des ingrédients majeurs de l’aptitude au compromis pacifique de la population. La religion joue, dans ces dispositifs, un rôle central, tant la pratique religieuse est généralisée dans le pays, et s’accompagne d’un fort encadrement social. L’islam malékite, qui rassemblerait environ 60% de la population, a connu une progression importante au cours des cinquante dernières années; c’est aussi le cas du protestantisme évangélique, principalement dans sa version pentecôtiste, qui rassemblerait fin 2015 environ 10% de la population. Le catholicisme, qui fédère un peu moins de 20% de la population, est en recul, à l’image des religions traditionnelles dont les formes exclusives regrouperaient environ 15% de la population (l’animisme transversal restant plus répandu). 

« Modernité insécurisée » et montée du pentecôtisme

Au-delà des répartitions confessionnelles, ce qui frappe est le caractère religieusement hétérogène de la quasi totalité des 63 ethnies principales du pays, en dehors des Peuls et des Dioulas (très majoritairement musulmans). Ce qui veut dire que le dialogue inter-religieux et inter-culturel fait partie du quotidien de la grande majorité de la population. Et les nouveaux convertis, notamment au sein du pentecôtisme, en plein essor, ne dérogent pas à ce sens de la « concorde coutumière », fondement social du pays. L’anthropologue Pierre-Joseph Laurent a ainsi montré, dans une monographie remarquable, le rôle de ciment joué par les Assemblées de Dieu dans un contexte de « modernité insécurisée » où l’Etat est fragile.

Loin de favoriser l’hyper individualisme, les mouvements pentecôtistes du Burkina Faso encouragent l’adaptation individuelle à l’initiative et la modernité « tout en maintenant intacts, autant que faire se peut, certains principes coutumiers d’entraide » (2), et un certain souci de concorde sociale infusé de spiritualité chrétienne. Une tentative de synthèse inédite, et efficace, selon l’auteur, d’autant plus qu’elle met l’accent sur la guérison des « affections du vivre-ensemble ». La rhétorique du « combat spirituel » peut certes être violente : mais celle-ci s’attaque à la surnature, aux réalités invisibles; le lien social communautaire, lui, est soigneusement cultivé, consolidé dans les sociabilités religieuses d’un pays profondément pluriel. La figure du pasteur pentecôtiste Mamadou Karambiri, à la tête de la plus grande Église du Burkina (le Centre Internationl d’Evangélisation, à Ouagadougou), est ainsi largement respectée y compris dans la plupart des cercles musulmans, d’où il est lui-même issu… Hasard ou pas ? Le généralissime Pingrenoma Zagré, héros national parvenu à déjouer sans effusion de sang le coup d’Etat Diendéré, « vient prier » dans l’Église pentecôtiste de Karambiri.

 

(1) Michel Bertrand, « Dans compromis, il y a promesse », Réforme, 5 novembre 2015.

(2) Pierre-Joseph Laurent, Les pentecôtistes du Burkina Faso, Mariage, pouvoir et guérison, Paris, IRD, Khartala, 2003, p.212.