« Qu’il y ait autant de lieux d’information, de formation et d’éducation de la femme dans nos quartiers que de salons de coiffure et d’ateliers de couture ! »
Ce cri du cœur d’Hélène Yinda, théologienne presbytérienne camerounaise(1), plaide pour les femmes d’Afrique subsaharienne. Mais il nous rappelle aussi le poids crucial de l’accès au savoir dans le développement personnel et social. Ce plaidoyer fait écho, dans la culture protestante, à l’accent qu’a mis la Réforme sur la lecture pour tous et à la connaissance personnelle de la Bible.

En Afrique de l’Ouest, le défi est d’autant plus grand que l’accès à l’éducation reste inégal et incomplet, en dépit d’énormes progrès accomplis en un siècle. Nombreux restent les laissés-pour compte. Vecteurs d’information à grande échelle, comment les médias protestants francophones se saisissent-ils de ce défi ?

En République Démocratique du Congo (RDC), l’explosion du marché télévisuel nourrit l’espoir d’un accès plus large et plus facile à l’information. C’est en effet en partie le cas. Les 68% de locuteurs francophones que compte le Congo RDC ont profité, depuis vingt ans, d’une lucarne élargie sur le monde grâce à la multiplication des médias, en particulier protestants. Mais un regard plus aiguisé ouvre sur un constat en demi-teinte : la mission de transmettre, d’enseigner et d’informer se trouve battue en brèche par plusieurs obstacles.

Le premier handicap des jeunes médias protestants congolais est l’instrumentalisation politique. Fragiles mais influentes, les chaînes charismatiques, pentecôtistes, prophétiques qui ont bourgeonné ne sont pas les dernières à puiser sans retenue dans la sève trouble du clientélisme. En échange de l’argent d’un leader, elles font campagne… On est loin d’une information objective !

Le second handicap : l’argent ! La précarité matérielle est la règle dans la médiasphère congolaise. En aval, le manque d’électricité handicape la diffusion des produits audiovisuels. En amont, les producteurs d’émissions (journalistes, techniciens, réalisateurs) sont peu, ou pas rémunérés.  Le bricolage est de règle, et les « gagne-gros » ne culminent guère à plus de 300 dollars de revenus par mois.(2) Difficile dans ces conditions de maximiser le potentiel pédagogique des nouveaux médias…

Le troisième handicap est l’extrême émiettement du paysage médiatique protestant. Sans structure de coordination ou espace de rencontre, sans lien fort (dans le domaine audiovisuel) avec la francophonie protestante européenne, la médiasphère protestante francophone est avant tout modelée par la compétition que se livrent des entrepreneurs charismatiques.
L’accès au savoir, la pédagogie de la foi et l’enseignement biblique, traditionnellement valorisés par les protestants, passent au second, voire au troisième plan face aux impératifs d’une compétition d’audience tous azimuts fondés sur la course au miracle et l’hyper-personnalisation. En mathématique, multiplier, c’est le contraire de diviser. Mais dans un paysage précaire et hyper-concurrentiel comme celui des médias confessionnels congolais, multiplier, c’est diviser…

Pour revenir à ce vœu d’Hélène Yinda de développer les « lieux d’information, de formation et d’éducation », force est de constater que la Révolution numérique n’est pas une panacée miracle. Chez les protestants, cette Révolution a multiplié l’offre, mais les défis de l’indépendance (face aux appétits politiques), de la santé financière et de la surenchère à l’émiettement concurrentiel actualisent l’exigence de réforme.

(1) Hélène Yinda, entretien donné pour le site http://www.lecamerounaisinfo.com/ le 20 septembre 2011.
(2) CG.G. Elite Ipondo Elika, Sociographie de la télévision congolaise. Voyage au cœur du système télévisuel du Congo-Kinshasa, Paris L’Harmattan, p.124.