- Troisième portrait de notre série de l’été : chaque semaine, des portraits de femmes africaines qui ont marqué leur pays. Douze « amazones du Seigneur ».
« Cherchez la femme », dit l’adage… De nombreuses biographies du prophète congolais Simon Kimbangu (1887-1952) ne mentionnent pas le rôle de son épouse. Et pourtant… Le prophète congolais Simon Kimbangu est né en 1887 dans le Bas-Congo. Son père est nganga nkisi, guérisseur. Confié très jeune aux missionnaires de la Baptist Mission Society pour son éducation, il étudie la Bible en kikongo, devient catéchiste, et affirme recevoir un appel divin en 1918 : Jésus lui demande de le servir. Simon refuse, mais la voix continuant à le relancer, il commence un ministère propre en avril 1921, par une guérison. Le voilà désormais prophète dans la Bas Congo, au service de Nzambi’a Mpungu », qui signifie en français « Dieu tout puissant ». Evoquant de loin celui de la prophétesse Kimpa Vita au début du XVIIIe siècle, le ministère prophétique de Simon Kimbangu combine miracles, réinterprétation du christianisme, messianisme congolais, ascétisme, critique des colonisateurs blancs et message de libération. Son ministère actif ne dépassa pas six mois. A l’image du sort réservé jadis à Kimpa Vita, il est arrêté par l’administration coloniale, mais contrairement sa devancière, Simon échappe, de justesse, à la condamnation à mort [1].
Résistance spirituelle
Privé de liberté par les autorités coloniales, fouetté publiquement (120 coups !), il décède après 30 ans de captivité dans une prison de haute sécurité, en 1951. Et pourtant ! En dépit de la répression brutale dont il a été victime, sa voix ne s’est pas éteinte. Une puissante Église kimbanguiste s’est déployée après sa mort, grâce à l’impulsion du troisième fils du prophète. Pourquoi ? Que s’est-il passé entre temps, durant les 30 ans d’incarcération de Simon Kimbangu ? C’est là qu’intervient Muilu Marie Kimbangu, femme de l’ombre qui maintient la flamme. C’est avant tout grâce à elle que la voix prophétique de Simon Kimbangu a réussi l’épreuve de la routinisation et de l’institutionnalisation dans un mouvement durable.
Pendant l’interminable incarcération du prophète congolais à Elisabethville (Lubumbashi), loin de ses disciples, plusieurs mouvements clandestins se forment. 3.600 personnes sont arrêtées au fil des années. La persécution coloniale ne fait pas de quartier, mais elle favorise, en définitive, l’expansion du mouvement kimbanguiste, bien au-delà du Bas-Congo. Car bien des Congolais s’indignent de l’arbitraire et du sort inique réservé au prophète, et la résistance spirituelle s’organise, portée par la figure libre de Muilu Marie Kimbangu. Née le 7 mai 1880, mariée selon la coutume avec Simon en 1913, puis mariée religieusement avec lui le même jour que leur baptême commun (4 juillet 1915), elle n’a cessé de soutenir son mari, s’identifiant à son appel, relayant ses mots d’ordre, encourageant ses fidèles. C’est à elle que le prophète demande, avant sa longue détention, de veiller sur le mouvement naissant. C’est autour d’elle, restée libre, que se structurent les réseaux clandestins. Le couple a eu trois enfants : Papa Kisolokele Charles Daniel (né le 12 février 1914), Papa Dialungana Salomon (né le 25 mai 1916) et Papa Diangienda Kuntima Joseph (né le 22 mars 1918). Mais au moment où Simon Kimbangu entre dans la longue nuit de l’incarcération, ils sont bien trop jeunes pour jouer un rôle quelconque dans la transmission prophétique. C’est sur les épaules de Muilu Marie Kimbangu que reposent, durant de longues années, la tâche écrasante de maintenir la flamme que le pouvoir colonial en place veut éteindre. Elle doit faire face à de nombreux obstacles, à commencer par l’interdiction formelle de réunion. Les autorités coloniales belges continuent à sévir contre les adeptes, envoyés dans dans des camps de relégation, dans des Colonies Agricoles pour Relégués Dangereux (CARD).
Du message prophétique à l’Église pérenne
Muilu Marie Kimbangu fait face, assure la transmission du message prophétique, portée par une espérance messianique où libération populaire et libération spirituelle vont de pair. Aidée par d’autres adeptes, elle forme une relève. Elle est « à la tête de l’Église durant la longue période de clandestinité »[2]. Quand « Maman Muilu » s’éteint le 27 avril 1959, un an avant l’indépendance du Congo Belge, le défi a été relevé. Peu avant son décès, le 12 avril 1959, elle distribue les cartes de catéchistes aux premiers cadres de la nouvelle Église Kimbanguiste. Le même jour elle confirme déléguer le pouvoir de diriger l’Église à son troisième fils, Papa Diangienda, alors âgé de 41 ans. Ce dernier, qui tenait déjà les rênes du mouvement, n’aura de cesse de rendre hommage à la fois à son père et à sa mère, présentés comme les fondateurs et les piliers porteurs de cette nouvelle Église africaine[3]. Quelques mois après le décès de Muilu Marie Kimbangu, le pouvoir colonial belge finit enfin par recnnaître officiellement le Kimbanguisme, le 24 décembre 1959. Un cadeau de Noël post-mortem offert quelques mois avant l’indépendance du Congo, que les époux Kimbangu n’ont eu de cesse d’espérer.
[1] Sa condamnation à mort est communée en détention à perpétuité sur décision du roi des Belges, Albert 1er, suite à l’intervention de missionnaires baptistes en faveur de Simon Kimbangu.
[2] Susan Asch, L’Église du Prophète Kimbangu, de ses origines à son rôle actuel au Zaïre, 1921-1981, Paris, Karthala, 1983, p.121.
[3] Lire Aurélien Mokoko Gampiot, Kimbanguisme et identité noire, Paris, L’Harmattan, 2004.