Sous le titre L’Eglise, promesses et passerelles vers l’interculturalité ? (Excelsis, 2015), les sociologues Frédéric de Coninck et Jean-Claude Girondin viennent de publier un recueil collectif très stimulant sur ces enjeux culturels qui interrogent, entre autres, les quelques 40 millions de protestants francophones qui construisent notre monde métissé.

Dans l’introduction, Frédéric de Coninck (p.7-9), rappelle le chemin parcouru en l’espace d’une génération. Les échanges se sont multipliés, les produits culturels se diversifient, la gamme des choix s’est élargie. A l’échelle des Églises, « aujourd’hui, les défis interculturels ont migré de la missiologie vers celui de l’ecclésiologie » (p.8). Ce qui signifie, en clair, que le défi de connaître l’autre ne se pose plus seulement entre « nous » (proches) et les terres de mission (au loin). Ce défi se pose ici et maintenant dans la paroisse, l’église locale de métropole.

L’œcuménisme, c’est aussi l’œcuménisme culturel

Un premier volet de ce recueil collectif, intitulé « organiser l’interculturalité dans l’Église » (p. 11 à 48) s’interroge sur la manière dont les assemblées sont appelées à s’adapter à ce nouveau contexte, afin d’en tirer parti et de prévenir les conflits. Jean-Claude Girondin explicite ainsi les lieux concrets de la vie d’Église où peut se vivre l’interculturalité. Il plaide pour une « unité-rhizome »(1) plutôt qu’une unité uniformisante : la communion fraternelle, l’exercice de l’autorité, les formes de culte sont revisités sous ce prisme. Il invite à ne pas oublier que l’œcuménisme, c’est aussi l’œcuménisme culturel, car l’oikouménè, c’est la terre entière, selon ce verset de la Bible : « la terre et ses richesses appartiennent à l’Éternel, nous dit le psalmiste. L’univers est à lui avec ceux qui l’habitent » (Ps 24.1).La pasteure Marianne Guéroult, à partir de son expérience du projet « Mosaïc » de la Fédération protestante de France, (FPF) dresse ensuite un tableau d’ensemble du paysage ecclésial impacté par l’immigration, en pointant les questions transversales (théologiques aussi bien que pratiques) que se posent les Églises issues de l’immigration en France. Des enjeux qui incluent la recherche d’un lieu de culte, l’importance des réseaux transnationaux, la dynamique prosélyte. A Nantes et Rennes, on compte deux Églises africaines en 2000, 20 en 2009 et 31 en 2011 ! Elle a également interviewé le pasteur Albert Watto à propos de l’évolution du réseau ECOC (Entente et Coordination des Œuvres Chrétiennes). Cette importante union d’Églises, d’expression congolaise, est rattachée aujourd’hui au CNEF (Conseil National des Évangéliques de France).

A partir de l’exemple des Églises coréennes, Henri Chai poursuit ensuite en insistant sur les conséquences missiologiques de la diversité culturelle dans les Églises françaises. L’apport migratoire, loin de multiplier les ghettos ou les « replis identitaires » (même si ces derniers peuvent parfois se produire), a vocation à renouveler une dynamique missionnaire sur le sol même de l’Europe.

Dans la seconde partie de l’ouvrage (p. 49 à 80), les contributions de Dominique Ranaivoson et de Charles-Daniel Maire illustrent, pour leur part, comment des problématiques surgies, au départ, sur le champ de mission ou dans des rapports Nord-Sud, sont désormais pertinentes au sein des Églises françaises. Ce qui invite à renouveler les perspectives, notamment dans notre manière de traiter les « mémoires coloniales ou anticoloniales rampantes » (p.55). Réfléchit-on assez à « l’image misérabiliste et uniformisante » qui range les migrants parmi les « étrangers », alors même qu’ils développent des « compétences égales à celles des autochtones quand ils fréquentent les mêmes universités » ? Charles-Daniel Maire fait justement observer par ailleurs qu’ « il n’est pas rare que des Églises fassent des efforts pour soutenir des missionnaires envoyés à grands frais dans d’autres continents, mais les mêmes communautés peuvent avoir du mal à accueillir les migrants qui habitent leur quartier! » (p.73)

« Les uns avec les autres »

La troisième partie propose quatre contributions consacrées aux situations interpersonnelles complexes induites par la cohabitation de cultures différentes. Dans une analyse ethno-doxologique particulièrement riche et éclairante, appuyée sur le terrain de la musique chrétienne antillaise, Ruth Labeth décline les défis et les conditions d’un échange entre différents styles musicaux, en soulignant la corporéité, mais aussi dimension communautaire et conviviale de la musique créole, « élément de premier ordre dans la vie des Antillais (qui) participe grandement à leur épanouissement »(2).

Spécialiste des mariages interculturels, Jean-Christophe Bieselaar se penche quant à lui sur l’adaptation de la pastorale à ces contextes familiaux spécifiques. Frédéric de Coninck, sous l’angle de la sociologie de la culture, puis Josépha Faber Boitel, sous l’angle de la littérature, complètent utilement ce panorama que Jean-Claude Girondin parachève, dans une post-face conclusive, par trois appels aux protestants : reconnaître l’altérité, se réconcilier, et vivre une éthique de réciprocité, « les uns avec les autres ». Tout un programme…

(1) Danielle Palmyre, Culture créole et foi chrétienne, Beau-Bassin/Bruxelles, Marye Pike/LumenVitae, 2007, p. 219-238.
(2) Frédéric Négrit, Musique et immigration dans la société antillaise en France métropolitaine de1960 à nos jours, Paris, L’Harmattan, 2004, p. 16.