L’introduction, (p.9-11) souligne d’abord que si « l’évangélisation en Algérie peut paraître dérisoire » par rapport à d’autres terrains missionnaires, elle n’en a pas moins donné naissance à un fragile protestantisme algérien qui mérite le coup d’œil. Paradoxe, ce dernier a davantage grandi après l’indépendance (1962). Alors que missionnaires et ‘occidentaux’ sont de moins en moins nombreux, les chrétiens algériens voient leur nombre d’accroître. Ceci est avant tout le fait d’une « évangélisation ‘souterraine », périlleuse souvent, qui nourrit deux canaux : d’une part, l’Église Protestante d’Algérie, Église officielle, et d’autre part, des « communautés diverses », au total plus nombreuses que celles recensées dans l’EPA, qui s’organisent tant bien que mal dans un contexte délicat.

La première partie du livre s’intitule « Coloniser et évangéliser ? Le protestantisme en Algérie » (p. 13 à 66). L’auteure se livre à un état des lieux remarquablement précis des différentes couleurs du kaléidoscope protestant en Algérie, entre missions françaises (SMEP, Mission Méthodiste Française, Mission Rolland, ERF, œuvre de Georges Tartar) et missions étrangères (NAM, Open Brethren, Suédois, British and Foreign Bible Society, Mission Évangélique Espagnole, Algiers Mission Band de la fascinante Miss Lilias Trotter etc.). On découvre une impressionnante variété d’approches, de réseaux, de stratégies, une précarité partagée, mais aussi une lente évolution vers des rapprochements, jusqu’à la création en 1972 de l’Église Protestante d’Algérie (EPA), association cultuelle reconnue par l’Etat algérien indépendant.

Manque de constance et de continuité

La seconde partie contextualise le travail missionnaire décrit précédemment autour de quatre lignes de tension : avec l’administration coloniale (très peu favorable aux protestants), avec le contexte social et culturel local, déphasé par rapport à « la civilisation occidentale » (p.75), avec l’islam, décrit sans langue de bois comme « l’opposant principal à la propagation de l’évangile en Algérie comme dans tous les pays musulmans » (p.77). Le dernier point névralgique, et non le moindre, est celui des contraintes internes aux missions, dispersées, jugées pas suffisamment coordonnées ni axées sur le travail à long terme. Le manque de constance et de continuité, y compris au niveau d’un lieu de culte, est souligné en particulier par le missionnaire baptiste en Kabylie Alfred Rolland, qui commente ainsi :

« Les catholiques romains nous donnent ici l’exemple : un édifice consacré n’est plus jamais fermé, la messe y est servie régulièrement. Nous devons poser les mêmes exigences en admettant ce principe que là où le culte a été célébré, quiconque doit pouvoir revenir en tout temps, trouver un appui, l’occasion d’un entretien, une possibilité de recueillement. En ce désert spirituel, nos maisons doivent être des oasis ouvertes aux gens du dehors » (p.82)

La troisième et dernière partie (p. 85 à 137) est consacrée à l’œuvre des missions. Elle détaille des œuvres sociales, comme le foyer pour femmes abandonnées de Tizi-Ouzou ou l’école de tapisserie d’Il-Matten crée par Brès (EMF), décrit les diverses stratégies d’évangélisation, qui donnent des résultats limités puisqu’il « n’y aura pas de communauté indépendante constituée de chrétiens autochtones » avant l’indépendance (p.110). Un focus distinctif est consacré au cas de l’Église Méthodiste Episcopale, qui a pour particularité d’être à la fois une Église et une Mission. L’auteure conclut en ouvrant des perspectives postcoloniales, vers la constitution d’une jeune Église algérienne, par et pour les Algériens.

Perspectives postcoloniales

On retiendra aussi l’outil descriptif proposé à la fin de la préface de Jean-François Zorn : se référant à Henry Rusillon, le missiologue parle de modèle « nicodémique, à l’image de Nicodème qui vient discrètement interroger Jésus (Jean 3, 2). Il entendit la prédication de l’évangile, ne put confesser la foi chrétienne mais ne cessa de poser des questions à son propos. Dans l’adversité, il prit la défense du Christ (Jean 7, 50) et participa à son ensevelissement (Jean 19, 39) ». Selon Rusillon, cité par Zorn, il s’agit d’un positionnement adapté à la situation algérienne : « ne pas renoncer à annoncer l’Evangile aux Algériens, mais surtout leur faire confiance, leur laisser des responsabilités », sachant que « ce sont eux qui, le moment venu, pourraient prêcher l’évangile à leurs semblables ».

Au vu de l’évolution de la présence protestante évangélique en Algérie depuis 2003-04 (période durant laquelle avait été écrite cette préface), on se risquera à conclure en affirmant que ce « moment » d’une Église autochtone autonome annoncé au conditionnel commence à se déployer aujourd’hui sous nos yeux. Cette histoire, qui contribue à la pluralisation culturelle et religieuse de l’Afrique du Nord, s’écrit au présent de l’indicatif, en Algérie comme au Maroc, dans le cadre de sociétés civiles émergentes confrontées à de fortes résistances, mais armées de patience et d’audace.

À suivre.

  • Zohra Ait Abdelmalek, Protestants en Algérie, Le protestantisme et son action missionnaire en Algérie aux XIXe et XXe siècles (Paris, Olivétan, 2004, 150 pages).