Deuxième article de notre série sur le Québec.

En Europe, certains veulent aujourd’hui fermer la porte aux réfugiés sous prétexte que leur religion n’est pas la bonne…. Rien de nouveau sous le soleil ? Au plus haut niveau de l’Etat, c’est la position qui fut défendue aussi par la Couronne de France aux XVIIe et XVIIIe siècles afin d’empêcher les protestants persécutés de s’installer en Nouvelle France…

Cela a été une surprise pour beaucoup, il y a huit ans. Lors des festivités des 400 ans de la fondation de Québec, il a été rappelé qu’au moment de la fondation de cette cité fortifiée en 1608, la Nouvelle France n’est pas exclusivement catholique. C’est vrai pour la région du Saint Laurent comme pour l’Acadie. L’historien, prédicant et dramaturge picard Marc Lescarbot, auteur de la première pièce de théâtre canadienne, qui rejoint l’Acadie en 1605, fait remarquer, dans son Histoire de la Nouvelle-France (1609), que la colonie jouit d’une présence huguenote affichée. On y célèbre même « régulièrement des offices religieux », et on y administre les sacrements selon les rites de l’Église réformée[1]. Il semble donc que la pratique du culte protestant, bien que non encouragée ni préconisée, ne soit pas prohibée.  Lescarbot était d’ailleurs sans doute lui-même sinon protestant, du moins « compagnon de route » des huguenots. Il cultivait une foi chrétienne gallicane, hostile à l’intolérance catholique de l’époque.

1627 : les protestants ne sont plus les bienvenus

C’est à partir de 1627 que les choses se gâtent pour les protestants de Nouvelle France. Sur les conseils du commandeur Isaac de Razilly, mais aussi des Jésuites et…. de Champlain lui-même, le cardinal de Richelieu décide, en cette année du terrible siège de La Rochelle, de barrer la route aux visées commerciales des négociants huguenots en fourrure. Mais il va plus loin : il prononce l’interdiction de séjour et de culte pour les huguenots de Nouvelle France, allant jusqu’à exiger la confiscation de leurs biens. Ces mesures, pour spectaculaires qu’elles peuvent apparaître aujourd’hui, ne furent pas, à l’époque, perçues ainsi. Ce qu’on appelle aujourd’hui le Canada n’est alors qu’un vaste comptoir de fourrures. Les deux colonies administrées par la couronne de France, l’Acadie et le Saint Laurent, ne comptent sur place qu’une grosse centaine de personnes au début du XVIIe siècle, et un peu plus de 3000 lors de l’accession au trône de Louis XIV. L’impact, sur place, est donc limité, et les colons ont autre chose à faire que d’aviver l’intolérance religieuse.

Il reste qu’à partir de 1627, bien avant la Révocation de l’Édit de Nantes (1685),  les huguenots sont persona non grata en Nouvelle France…. Le clergé catholique, étroitement lié à l’État, a la haute main sur le contrôle religieux des populations. Le culte réformé n’a nulle part sa place. Cependant, dans la pratique, les protestants sont « interdits mais tolérés »[2], à condition qu’ils ne pratiquent pas leur religion.  Ils ne disparaissent pas de la scène. Jean-Louis Lalonde rappelle que si des centaines de familles québécoises d’aujourd’hui peuvent se prévaloir d’au moins un ascendant protestant, que ce soit les Bédard, Comeau, Gauthier, Girard, Jacob, Ménard,  Morin, Perron,  Richard, Rousseau, Samson,  Thibault, « et bien d’autres », c’est en partie parce que, tout au long des XVIIe et XVIIIe siècle, des huguenots ont continué à alimenter le développement de la fragile colonie française. Grâce aux travaux, notamment, de Didier Poton, on sait que, dans les vingt dernières années du Régime colonial français, ce sont principalement des compagnies marchandes aux mains des protestants qui nourrissent l’activité économique de la colonie.

Exclure les huguenots : un choix colonial désastreux ?

A y regarder de près, les conséquences de la double interdiction formulée par Richelieu ont été très lourdes pour le développement de la Nouvelle France. Devenus « loups dans la bergerie » catholique (Lalonde), les huguenots se sont naturellement tournés vers d’autres horizons. Avec la Révocation de l’Édit de Nantes en 1685, le flux des huguenots partis pour l’Exil, dans le cadre de ce qu’on appelle le Refuge, s’est compté en plusieurs de dizaines de milliers de familles actives, industrieuses, avides de liberté. Si les autorités françaises avaient compris l’intérêt prodigieux représenté par ces populations pour le projet de peuplement colonial de la Nouvelle France, auraient-elles infléchi leur intransigeance ? On peut en douter. À Versailles, l’heure était au rigorisme, aux positions de principe.

Mais la réalité des faits montre que cette décision royale, relayée avec la même implacable sévérité outre-Atlantique,  a privé ce qui allait devenir le Canada d’une abondante population française et francophone potentielle, qui s’est du coup installée ailleurs (Pays-Bas, Afrique du Sud, Virginie, Etats allemands). Leslie Choquette, dans une étude sur la colonisation de la Nouvelle France, estime que cette décision royale, fondée sur l’intolérance et non sur le pragmatisme, est « l’erreur la plus grave » que l’administration française ait commise en Amérique durant l’époque coloniale[3].  Elle empêcha en effet d’accélérer une croissance démographique restée très lente en Nouvelle France, alors que bien plus au sud, la Virginie, par exemple, s’enrichit de plusieurs centaines de huguenots français réfugiés. 

Après 1760 : la protestantisation par l’anglophonie britannique

En 1760, la conquête de la Nouvelle France catholique par un monarque protestant (le souverain d’Angleterre) bouleverse la donne. De terre catholique, le Canada, nouvellement né, devient colonie protestante. Une révolution ! Avec l’arrivée des Britanniques, le protestantisme a officiellement droit de cité, y compris au coeur des foyers purement francophones. Nouvelle Église officielle, l’Église d’Angleterre (anglicane) maintient à partir de 1768 trois paroisses francophones, Québec, Trois-Rivières, Montréal, pour chacune des villes de la colonie britannique jusqu’au début des années 1800. Le pasteur David François de Montmollin (1721-1803) a quant à lui la charge de Québec, jusqu’à sa mort, mais les paroissiens sont bien peu nombreux. L’expérience ne sera pas poursuivie.

On trouve quelques protestants francophones dans les Conseils du gouverneur et parmi les premiers parlementaires en 1792, mais leur présence est bien discrète dans un contexte où pour les francophones, le catholicisme s’impose de plus en plus comme une identité de résistance. En terre québecoise, depuis la fin du XVIIIe siècle, la langue anglaise tend à être associée au protestantisme, et la langue française au catholicisme.

 

[1] Marc Lescarbot, cité par JL Lalonde, Des loups dans la bergerie, Les protestants de langue française au Québec, 1534-2000, Montréal, Fidès, 2002, p.29.

[2] Cf. chapitre 2 de Marie-Claude Rocher, Marc Pelchat, Philippe Chareyre et Didier Poton (dir), Huguenots et protestants au Québec. Fragments d’histoire, Novalis, Montréal 2014.

[3] Leslie Choquette, Frenchmen into Peasants, Modernity and Tradition in the Peopling of French Canada, Harvard University Press, 1997, p.282.