Dans un premier entretien, le pasteur Gilbert Suku nous a partagé son regard sur la Corée du Sud, où il se rend régulièrement depuis 2002. Ce pasteur congolais francophone nous présente maintenant l’autre versant des relations franco-coréennes : le regard des Sud-Coréens sur la France et la francophonie.

Comment les Sud-Coréens envisagent-ils la francophonie protestante ? 

Il y a plus de cinq ans, on a commencé à parler de la francophonie avec nos partenaires sud-coréens (des Églises dites remnant). Les Sud-Coréens ont déjà des Églises en Europe, mais pour la grande majorité, elles sont tenues par des pasteurs coréens, surtout pour des Coréens. En développant leurs relations avec nous, ils ont compris que des Français et des francophones partageaient avec eux une même vision de l’évangélisation. Une approche décomplexée. En travaillant ensemble, le travail missionnaire trouvait une ouverture vers la francophonie. Nos partenaires ont déclaré : « la France, c’est notre porte pour rentrer en Europe ». Et c’est vrai ! L’oeuvre s’est développée un peu partout. Les Sud-Coréens veulent restaurer l’héritage de Calvin, auquel ils sont très attachés. Ils disent que la France, c’est une bénédiction pour eux. Depuis 2002, ils ont envoyé beaucoup d’étudiants. A Creil et Nogent-sur-Oise (où est basée l’Église du pasteur Suku, ndlr), il n’y a pas d’université, donc on ne les voit pas. Mais notre partenaire, le pasteur Lee, voyage beaucoup pour aller à Rennes, Strasbourg, Lyon, dans d’autres villes encore, pour aller continuer l’évangélisation, et former ces jeunes Coréens installés en France. Ils viennent faire leurs études ici, ils parlent français. Plusieurs, après leurs études, restent en France, par amour du pays, pour évangéliser. Cela facilite l’échange, car ces Coréens installés en France parlent les deux langues.

Le mouvement va dans les deux sens. Des Coréens s’installent en France, mais à l’inverse, nous avons aussi, sur leur demande, envoyé des missionnaires en Corée pour apprendre le coréen et faire de la théologie ! Et servir de passerelle pour la langue et la culture. C’est ainsi que trois missionnaires issus de nos rangs, de notre Eglise CEAF, Freddy et son épouse Fidélia, ainsi que Charles-André, sont allés s’établir en Corée du Sud. Freddy est devenu pasteur en Corée du Sud. Avec son épouse, ils sont basés à Ulsan, et Charles-André est établi à Séoul. Nous les avons revus cet été (2018) et nous sommes en relation très régulière.

Dans leur relation avec vous, que recherchent les protestants sud-coréens ?

Leur priorité c’est l’évangélisation. C’est pourquoi notre profil les intéresse, car nous recherchons cela aussi en France. En ce mois de septembre 2018, une jeune équipe coréenne spécialisée dans la musique est revenue en région parisienne. Leur groupe musical s’appelle « Enough » (Dieu est suffisant). Cet ensemble (voix et instruments) a proposé des chants et des témoignages. Ces jeunes Sud-Coréens ont payé leur billet d’avion, leurs frais d’hôtel… Ils ne sont pas venus longtemps, quatre jours seulement, ils ont été en région parisienne et ici (à Nogent-sur-Oise), pour témoigner et présenter Christ par le chant. Ils étaient traduits bien-sûr. Quelle motivation! C’est remarquable. Dans quelques semaines, nous aurons avec nos partenaires coréens une grande session de formation commune près de l’aéroport Charles de Gaulle. Là encore, le but, c’est l’évangélisation, sans complexe !

Pouvez-vous nous décrire les échanges que vous organisez avec la Corée du Sud ? 

Je vais en moyenne en Corée du Sud deux fois par an. Pour me ressourcer et consolider notre lien de collaboration. Pasteur Charlemagne, qui conduit avec moi l’Église La Grâce de l’Éternel (Nogent-sur-Oise), y va aussi. D’autres aussi s’y rendent. Avec un accent sur les jeunes et la formation, toujours. De façon à ce que nous puissions mieux appliquer ici en France les stratégies d’évangélisation. Les Sud-Coréens viennent presque tous les ans aussi. Nous conduisons des campagnes d’évangélisation, particulièrement durant la période de Pâques. Pour deux semaines. Avant, ils venaient plus nombreux. Nous les logeons au Campanile ou à l’hôtel Ibis. Maintenant, comme pasteur Freddy est installé là-bas en Corée, ils sont moins nombreux à venir. Il y a désormais aussi des formations organisées dans d’autres pays européens. Tous les trois ans, des campagnes européennes ont lieu. Je me souviens d’une rencontre à Saint-Denis, Bd président Wilson, au moins 250 pasteurs sud-coréens étaient venus. De notre côté, nous étions au moins 150.  C’était en 2008. Et en 2013, nous étions à Paris, dans un hôtel à côté de la Tour Eiffel, avec au moins 150 pasteurs sud-coréens, et beaucoup de membres d’Églises. C’est toute une organisation ! Au moins quatre bus venaient nous prendre.

Quelle vision les Sud-Coréens que vous connaissez ont-ils de la francophonie ?

Ils parlent de la grande francophonie. Ils voient au-delà de la France. Une mission vient de commencer en Belgique. Lors de sa prochaine arrivée en France, pasteur Freddy va repartir bientôt en Guinée, puis au Togo, en Côte d’Ivoire…, des Églises francophones remnant commencent là-bas. Pour les Sud-Coréens, la porte de la francophonie, c’est la France. Leur stratégie est d’investir sur une personne, de la former, afin qu’elle ouvre d’autres portes. Ils prennent l’exemple de l’apôtre Paul, et aussi de Lydie, qui a été une porte pour l’évangélisation de l’Europe. Ils veulent trouver de nouveaux Paul et Lydie pour propager l’Évangile complet dans la francophonie. La multiplication des échanges, et la présence croissante de Coréens francophones en France facilite l’ouverture. Avant, les Coréens venaient avec leurs interprètes. Ils n’en ont plus besoin maintenant. Des Coréens, déjà installés en France, sont facilement disponibles pour traduire.

Comment vos amis sud-coréens réagissent-ils à l’environnement parisien ?

Ce que nous avons remarqué, c’est que ceux qui arrivaient pour la première fois à Paris nous demandaient toujours : « Pouvez-vous nous conduire à Notre-Dame, au Sacré Cœur, à la Madeleine ? » Dans ces grands centres touristiques. On se demandait, « Mais pourquoi ? Ils sont protestants ! » Après, ils nous ont expliqué qu’il y avait une signification spirituelle à tout ça. Ils voulaient discerner pourquoi ces grands centres chrétiens étaient aujourd’hui plus fréquentés par des touristes que par des chrétiens pratiquants. Ils voulaient savoir pourquoi on priait moins dans ces endroits là, pourquoi ces lieux étaient presque transformés en musées. De la même manière, lorsque nous allons en Corée du Sud, on nous fait visiter les grands sites bouddhistes et les quartiers des chamans. Pour comprendre ce qui attire les gens. Voir aussi ce qui empêche l’Évangile. L’objectif est de réformer la culture. De restaurer l’attrait pour l’Évangile, et la foi en Jésus, le Christ, qui fait grâce. Comme je dis, « si tu vas au musée, va avec un œil évangélique », pour discerner spirituellement les choses.

Globalement, les Sud-Coréens aiment la culture française. Certains viennent d’abord pour apporter le message évangélique, d’autres pour apprendre le français, mais tous ont l’idée du témoignage à Paris, sans peur, pas seulement vers les Africains francophones, mais vers tous les publics. C’est Dieu d’abord qui fait l’évangélisation. Il ne faut pas s’inquiéter si ça ne répond pas toujours. La réponse est parfois directe, parfois indirecte, ce n’est pas un problème. Notre responsabilité est de mettre en application la parole de Dieu. Nous collaborons beaucoup avec Pasteur Lee, un pasteur sud-coréen venu pour la première fois en 2006 en région parisienne. En 2008, le Seigneur lui a mis à cœur de s’installer en France. Il était d’abord basé ici (Église La Grâce de l’Éternel), puis s’est rapproché de Paris car il y a beaucoup de jeunes Coréens là-bas. Il a commencé son Église locale en 2011, d’abord avec l’Église protestante d’Auteuil, puis, depuis deux ans, à Boulogne Billancourt. On collabore, y compris par la traduction de beaucoup de chants en langue française, comme « Prière profonde ».