Pasteur principal de la megachurch francophone Impact Centre Chrétien, Yvan Castanou n’a été que peu interviewé jusqu’à présent. Son analyse vaut pourtant le détour ! Il aurait aujourd’hui des raisons de s’enorgueillir d’une trajectoire de réussite à bien des égards exceptionnelle. Mais les vingt ans d’ascension de son Eglise ne lui sont pas montés à la tête. Pour lui, manifester la présence de la divinité rime avec humilité. Entretien. 

1/ Pasteur Yvan Castanou, pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Yvan Castanou. Je suis père de famille, marié à Modestine, père de quatre enfants, et je suis à la fois auteur, formateur et surtout pasteur principal des églises Impact Centre Chrétien (ICC). Aujourd’hui cela fait un peu plus d’une centaine d’églises à travers le monde. Notre siège est actuellement à Boissy-Saint-Léger, et nous avons les yeux fixés sur une prochaine étape, le pôle en cours de construction à Croissy-Beaubourg (cf. article 3/4 de la série sur ICC). Je souligne qu’en tant que bâtiment, l’Autel Royal en cours de construction n’est pas une église au sens d’édifice seulement dédié à la religion. Ses locaux pourront être mobilisés pour d’autres manifestations. L’Eglise Impact Centre Chrétien sera bien-sûr heureuse d’utiliser ces superbes infrastructures pour ses rencontres et événements, chaque fois que nécessaire. Mais bien d’autres seront les bienvenus pour louer ces espaces. Ces locaux spacieux et accueillants sont ouverts à toutes et à tous. Ils ont été pensés comme une contribution positive au dynamisme des activités collectives de l’Est francilien.

« On n’est pas obligé de détruire ce que font les autres pour construire »

2/ A l’inverse de certaines Eglises de Réveil, vous ne mettez pas en cause les catholiques ou le catholicisme. Pouvez-vous nous expliquer ?

Ma philosophie, c’est déjà de dire qu’on n’est pas obligé de détruire ce que font les autres pour construire. Nous avons, c’est vrai, des différences doctrinales, mais je crois aussi qu’avec les catholiques il y a beaucoup de points qui nous unissent. Quand on parle de catholicisme, il faut faire très très attention, et faire preuve d’une extrême humilité. Parce qu’il y a beaucoup de choses qu’on ne sait pas. Les catholiques croient en Jésus. Ils ne croient pas uniquement en Jésus mais ils croient en Jésus. Et nous aussi nous croyons en Jésus.

Et aujourd’hui l’histoire montre que la plupart des chrétiens persécutés dans le monde pour leur foi sont des catholiques. L’affaire Asia Bibi (Pakistan) a fait beaucoup de bruit. Mais la plupart des gens qui lisent les articles sur Asia Bibi ne savent pas qu’elle était persécutée parce qu’elle était catholique. On l’a accusée de blasphème parce qu’elle a partagé sa foi, et les autres se sont sentis oppressés, comme si on leur imposait. En fait, c’était un règlement de compte, elle a juste exprimé sa foi en Jésus. Et on a parlé d’Asia Bibi, mais on n’a pas parlé du gouverneur du Penjab, qui a défendu cette femme, et qui a été assassiné parce qu’il était catholique. On n’a pas parlé du ministre des minorités religieuses au Pakistan, qui en mars 2011, a été lui-aussi assassiné parce qu’il était catholique. Vous voyez ? Donc il y a énormément de chrétiens dans le monde… en Chine, dans les pays arabo-musulmans, qui sont persécutés et qui sont assassinés pour leur foi, mais ce ne sont pas des évangéliques ! Ce sont des catholiques !

Et pour le monde entier, le monde extérieur, quand il nous regarde, il ne fait pas la différence entre les catholiques et les évangéliques, et les protestants, et les baptistes, et les pentecôtistes, etc. Ce que les gens voient, ce sont des personnes qui revendiquent leur appartenance à Christ, et leur proclamation de ce que Jésus est le sauveur. Donc oui, nous avons beaucoup de différences, mais nous avons aussi beaucoup de points qui nous unissent  Nous avons une foi commune, et nous pouvons nous battre pour certaines valeurs.

Je rappelle qu’en France, c’est grâce aux catholiques que la liberté de culte a été maintenue dans les églises évangéliques pendant la période de pandémie du Covid19. Ce sont eux qui sont montés au créneau pour défendre la foi chrétienne et la liberté religieuse. Beaucoup d’évangéliques pensent que lorsqu’on est catholique, on risque d’aller en enfer. Je ne suis vraiment pas d’accord. Je considère que nous, les évangéliques, devons être beaucoup beaucoup plus humbles. J’ai vu des catholiques, en particulier des gens du Renouveau charismatique, très fervents, très bouillants, très zélés, et adorant sincèrement Jésus,  invoquant sincèrement Jésus ! Et je n’ai pas le droit de les stigmatiser en pensant que je suis meilleur qu’eux. Donc je pense qu’il y aura beaucoup de catholiques au Ciel, et qu’il y aura beaucoup d’évangéliques en Enfer parce qu’il n’ont pas marché avec Dieu, tout simplement. Donc on ne peut pas s’arrêter à juger. Il faut être beaucoup beaucoup plus humble, c’est le fond de ma pensée. Je m’entends très bien avec les catholiques. Et je suis très écouté par eux.

« Les Huguenots ont gardé la flamme de l’Evangile allumée »

3/ Quel rapport entretenez-vous, en France, avec les anciennes Eglises protestantes ?

Un des secrets d’Impact Centre Chrétien, c’est d’avoir appris à honorer les pères, ceux qui nous ont précédés. J’ai toujours eu cette conviction. C’est dans nos valeurs, d’honorer les protestants traditionnels, d’honorer l’Eglise protestante traditionnelle. Parce que vous savez, nous, nous sommes évangéliques, pentecôtistes, charismatiques, comme vous voulez, dynamiques, fervents et tout ça, embrasés, enflammés…  Mais la vérité, c’est que ce sont les protestants, celles et ceux de l’Eglise réformée (ERF), qui ont gardé la bougie allumée. Ils ont gardé la flamme de l’Evangile allumée. Ce sont eux, ce sont les Huguenots, qui se sont battus il y a 400 ans, qui ont été persécutés pour leur foi. Et c’est grâce à eux qu’on a hérité du protestantisme. C’est en partie grâce à eux qu’il y a eu la Révolution française. C’est grâce à leur combat ! Et ces gens étaient des protestants. Ils ont été massacrés. persécutés, brûlés vifs. C’étaient des protestants, et donc là encore, c’est toujours pareil, il faut faire preuve de beaucoup d’humilité et de gratitude.

Quand on a commencé Impact Centre Chrétien, l’Esprit de Dieu m’avait convaincu qu’il faut absolument honorer les pères. Il est écrit « Honore ton père et ta mère afin que tu sois heureux et que tu vives longtemps dans le pays que l’Eternel ton Dieu te donne ». Et je crois qu’une des manières de prospérer dans un pays, c’est d’honorer les pères. Dans le domaine de la chrétienté, les pères, c’était les protestants traditionnels. Je me rappelle qu’à l’inauguration d’Impact Centre Chrétien, en 2008, on avait invité l’Eglise Réformée de France. Elle était présente au travers de la voix de son secrétaire général. Je n’oublierai pas le jour où il a fait cette prière :  il avait dit « Seigneur bénis ICC, bénis-les en France ». Et donc je crois qu’il nous avait donné la bénédiction, parce qu’on avait respecté l’ERF.

Je n’oublie pas également que nous sommes membres de la Fédération protestante, et que la Fondation du protestantisme s’est portée caution pour ICC pour l’acquisition de notre premier bâtiment en 2008. Donc vous voyez, il y a une vraie reconnaissance en ce qui nous concerne envers les autorités protestantes, et envers l’Eglise réformée. Je rappelle aussi que notre président, de la CEAF (Communauté des Eglises d’Expression Africaine de France, à laquelle est rattachée ICC), est réformé, membre de l’EPUDF. Ce n’est pas un pentecôtiste, c’est un pasteur réformé, et il est vraiment formidable ! Notre philosophie c’est vraiment d’honorer, respecter les pères, ne jamais critiquer. Et jusqu’à aujourd’hui franchement cela a plutôt bien réussi.

Francophonie évangélique : « on se sent beaucoup moins seul qu’il y a vingt ans »

4/ Quel regard portez-vous sur l’évolution de la francophonie protestante au cours des vingt années de développement d’ICC ?

Il y a eu un long chemin parcouru, il y a eu un gros progrès. L’univers, l’atmosphère, l’environnement spirituel en France en 2002 et en 2022 n’ont rien à voir. En 2002, le réveil en francophonie était balbutiant. Il y avait très peu de mega-Eglises francophones, très peu d’élan. En vingt ans, tout a changé. La foi chrétienne évangélique, qui fait partie de la grande famille protestante, a vraiment connu un raz-de-marée, un véritable essor. C’est impressionnant ! Y compris en France métropolitaine, mais aussi dans les îles, en Afrique centrale, de l’Ouest, en Côte d’Ivoire avec notamment le pasteur Mohammed Sanogo, en RDC, au Canada… Il y a 20 ans, on retrouvait à l’Eglise une proportion importante de personnes âgées. Les rangs se sont beaucoup rajeunis ! Des jeunes, des adolescents, et même des enfants, qui sont vraiment attachés à Jésus, et veulent vivre la foi dans leurs relations, et influencer la société. Cela a été un long combat pour changer les choses, mais franchement cela en valait la peine. Il y a vraiment quelque chose qui s’est passé, les églises se sont multipliées. Plus de personnes ont pu être touchées par le témoignage, plus de gens sont construits, les fardeaux sont ôtés, et tout cela c’est à travers la « Bonne Nouvelle » de l’Evangile.

Je ressens une immense gratitude à Dieu pour ce qu’il a accompli pendant ces 20 dernières années. A Impact Centre Chrétien, on était moins d’une dizaine dans un salon en 2002, et aujourd’hui je crois qu’on n’est pas moins de 40 à 50.000 minimum dans le monde, quand on compte les effectifs de toutes nos églises. Et cela va au-delà si l’on compte toute la communauté en ligne. C’est juste extraordinaire et ça ne s’est pas seulement produit pour ICC. Où que l’on aille dans le monde, quel que soit le pays où l’on va, dans la francophonie, on se sent beaucoup moins seul qu’il y a vingt ans lorsqu’on est chrétien né de nouveau.

La culture protestante de la générosité

5/ Le grand public ne comprend pas toujours la raison des capacités financières d’une Eglise comme celle d’ICC. Pouvez-vous nous en dire plus ?

Ce qui est perçu comme étant étrange en France ne l’est pas ailleurs, notamment dans les pays anglo-saxons. Là-bas, c’est beaucoup plus banalisé, parce que la générosité, en vérité, dans la culture protestante, y compris en Afrique, est beaucoup plus établie. Il y a un principe de libéralité, et une culture de la générosité, au point que vous avez beaucoup de gens très riches qui, par leur entreprise, par leur fondation, donnent aux Eglises. C’est vrai que dans le monde francophone, c’est plus rare, c’est perçu comme étrange, alors qu’en vérité, tout cela procède de principes bibliques. Le Seigneur a dit : « Il y a plus de bonheur, de bénédiction – makarios -, à donner, qu’à recevoir » (Bible, Actes 20, 35). Le Seigneur dit aussi : « Donnez et il vous sera donné« . Dieu lui-même était un donateur. Lorsqu’on est dans une église où la vérité biblique est enseignée, on apprend notamment à donner à Dieu la part qui lui revient. Ce n’est plus seulement la culture française qui prévaut dans le cœur des gens, c’est d’abord la culture du royaume des cieux.

« Donner nous fait ressembler à Dieu »

A ICC, les enseignements ont contribué à renouveler le système de pensée des gens. Du coup, aujourd’hui, même étant francophones, on a la « culture d’En Haut », on a la culture du Ciel. Alors pour nous donner, c’est devenu un plaisir, parce que donner nous fait ressembler à Dieu. Toutes les Eglises où ces principes de générosité sont enseignés expérimentent une croissance numérique. Et avec la croissance numérique vient également la croissance financière. Les gens donnent lorsqu’ils sont instruits, lorsqu’ils sont nourris, et lorsqu’ils ont confiance dans l’intégrité du leadership. Lorsqu’on leur présente une vision grande et excellente, que l’intégrité est là et qu’ils en voient les fruits, les gens décident de donner généreusement. Quand on a lancé le projet de construction d’un temple pour Dieu au cœur de la capitale de la francophonie, ce projet a stimulé, il a enthousiasmé, pas seulement les membres d’Impact Centre Chrétien France, mais les membres d’ICC dans le monde entier. Et donc les dons sont venus de partout.

Vous n’imaginez pas la fierté qui est la leur de réaliser ça, en France, en région parisienne, la capitale de la francophonie. Il y a de la fierté d’être une pierre vivante, d’écrire une histoire, chacun de nous étant une pierre de cet édifice qui sera construit. Il y a une véritable fierté, parce que le projet qui était présenté était un projet ambitieux avec une vision d’excellence et d’intégrité. C’est ça, en fait, le secret, il n’y a rien d’autre. La grande majorité de nos donateurs sont Afro-Antillais. Il y a aussi cette fierté d’accomplir quelque chose de grand, alors qu’on est parfois méprisé, banalisé, infériorisés. La fierté,  ensemble, de réaliser quelque chose qui va dépasser largement notre vie, notre génération, et qui va subsister dans les générations futures mais qui aura été enfantée par notre génération. Certains, oui, ils ne comprennent pas, mais pour nous, c’est une vraie fierté. Et on a tous hâte de voir cet édifice enfanté. Inauguré.

 

6/ Dans certains cercles missionnaires, la France a longtemps eu la réputation d’un terrain difficile pour l’évangélisation. Qu’en pensez-vous ?

La France n’est pas simple. Il y a beaucoup de raisonnements. Beaucoup de forteresses, d’incrédulité, d’athéisme. En tout cas pour des Eglises comme les nôtres, beaucoup de préjugés. Beaucoup de limitations. Des préjugés parfois un peu racistes, mais c’est subtil en fait. Oui, il y en a beaucoup. Donc je comprends que l’on dise que la France est un terrain difficile. mais très honnêtement, depuis qu’on a commencé Impact Centre Chrétien – nous, on a commencé avec la mentalité de Josué et Caleb –  on a été délivrés du système de pensée de l’excuse, de l’échec.

Donc dès le début en fait, on y est allés, avec la vision des conquérants, de gens qui vont impacter, de gens qui vont réussir. Pour cela, nous avons mis en œuvre un secret, qui a fait la différence jusqu’à aujourd’hui, c’est le secret de la présence manifeste de Dieu. A Impact Centre Chrétien, nous n’avons pas mis l’accent sur l’évangélisation extérieure, la distribution de tracts. Ce ne sont pas des choses qu’on a faites souvent, en vérité. On a mis l’accent sur l’élévation de la personne de Jésus au centre de l’Eglise, par l’adoration, par la consécration, par l’obéissance à Dieu, en créant des dynamiques de prière corporative qui contribuent à élever le nom de Jésus, à faire en sorte qu’il soit honoré, qu’il soit désiré, qu’il soit supplié, qu’il soit magnifié. Cet accent sur l’adoration a attiré les gens. Cela ne se fait pas par les tracts, cela se fait par l’élévation de la présence divine. En tout cas, nous, c’est notre secret. Oui, le territoire est délicat, mais en fait avec Dieu tout est possible. On ne pense pas « limitation », on ne se plaint pas, ce n’est pas notre mindset. Avec Dieu tout est possible, et c’est ce qu’on verra encore par sa grâce, et l’assistance de son Esprit, au nom de Jésus, amen !