Se référer à l’Evangile et voter pour Trump ou Bolsonaro ? Quelques lignes d’analyse peuvent éclairer un tel paradoxe (ce qui n’empêche pas de continuer à le réprouver).

Le pentecôtisme a commencé à avoir du succès, au Brésil, parmi des couches défavorisées. De l’extérieur, on voit surtout de ce mouvement son ouverture aux effusions de l’Esprit. Mais le désordre potentiel, lié à des interventions impromptues de l’Esprit, y est contrebalancé par une hiérarchie stricte et un moralisme affirmé. Ce milieu fonctionne donc comme un cadre rigide, mais également porteur de bénéfices, pour ses adeptes1 . Les femmes sont satisfaites qu’il combatte la fragilité des familles. Tous, hommes ou femmes, y trouvent un lieu qui autorise une ascension sociale. L’appartenance à l’église ouvre des réseaux d’accès à l’emploi et sert de caution morale auprès d’employeurs potentiels. La vie interne de l’église permet également d’accéder à des rôles sociaux stables. Dans la deuxième génération, les jeunes font des études plus longues que leurs parents. Etc.

De telles trajectoires rendent les personnes sensibles à la méritocratie. Elles développent le culte de la rectitude morale et de l’effort personnel. Leur rapport à la pauvreté n’est donc pas du tout le même que celui des partis de gauche. Il leur semble qu’il est possible d’échapper à la misère, pour peu que l’on change de vie et que l’on se prenne en main.

Autorité forte

Une autre ligne de lecture porte attention à l’ecclésiologie2 qui règne dans ces milieux. On sait que l’ecclésiologie catholique colore la manière dont les croyants catholiques voient la société, au-delà des murs de leur église. Un protestant français est, lui aussi, en général, influencé par le système presbytérien-synodal 3 lorsqu’il pense à la politique. Les églises pentecôtistes sont, pour leur part, régulées par des personnes (presque toujours de sexe masculin) qui exercent une autorité personnelle forte sur les assemblées. Il y a d’un côté le salut personnel auquel le fidèle peut accéder et de l’autre l’autorité qui repose sur une personne. La communauté, en tant qu’instance régulatrice ou que lieu de prise de décisions, est peu considérée. Il est, dès lors, assez logique que ces membres se sentent proches de leaders politiques autoritaires et rejettent les partis qui mettent en avant le débat et les décisions collégiales. Les scandales de corruption, qui ont émaillé la présidence des leaders du Parti des Travailleurs (PT) ont, par ailleurs, disqualifié l’autorité des personnes concernées et cette faute morale est apparue comme plus grave que des injustices économiques structurelles.

Riches et pauvres

Une fois tout cela dit, il ne faut pas oublier des réalités sociales plus classiques. Quand on regarde une carte électorale, on voit que, malgré tout, les régions les plus pauvres du Brésil ont continué à voter pour le PT. Et, de fait, même si, au départ, le pentecôtisme a surtout recruté dans les milieux populaires, il n’en est plus de même aujourd’hui. L’ascension sociale dont nous avons parlé a changé la donne et, par ailleurs, de plus en plus de personnes des classes moyennes ont rejoint, ces dernières années, des mouvements pentecôtistes. Le mirage d’une Amérique du Nord riche passe, entre autres, par le canal d’églises qui ont des liens forts avec leurs homologues aux USA et cela attire des couches sociales ambitieuses. Et l’éthique puritaine s’en suit : valorisation de l’effort, critique de l’immoralité du pauvre et de sa paresse, et patriarcat autoritaire. Chacun lit l’Evangile avec des biais. Cette triste histoire le confirme. C’est, finalement, un appel à chacun d’entre nous à rester attentif à la voix de Dieu au-delà de nos préjugés.

1 Cf. Marion Aubrée, « Pentecôtisme, éducation et ascension sociale au Brésil », Lusotopie, 1999, n°6, pp. 321-328.
2 La conception qu’on a de l’organisation de l’Eglise.
3 Un équilibre entre pouvoir de l’église locale et pouvoir du synode national qui regroupe les représentants des églises locales dans un fonctionnement plutôt démocratique.