En 2016, devant l’arrivée massive des migrants et le refus des États à s’engager, des maires de villes européennes font entendre leurs voix et tentent de pallier aux défaillances de la politique nationale en créant un réseau de « villes-refuges ».

L’idée de la ville-refuge est presque aussi ancienne que le monde. Dans la Bible, par exemple, Quédech, Sichem, Hébron, Besser, Ramoth et Golan sont les six villes-refuges indiqués par Dieu à Moïse (Nombres 35, 9-34) et à Josué (Josué 20, 1-9). La loi de Moïse autorisant les plus proches parents d’une victime à tuer un meurtrier, le tueur pouvait trouver asile dans une de ces villes-refuges. Il était à l’abri de la surenchère de la violence et de la vengeance. Cela rendait ainsi possible une justice communautaire et non une justice personnelle. Ce principe de ville-refuge apparaît encore au Moyen Âge en Europe. C’est l’âge d’or du droit d’asile. En pénétrant à l’intérieur des murailles de certaines villes, les serfs devenaient des hommes ou des femmes libres.

Solidarité avec les écrivains menacés…

Cette notion disparaît à l’époque moderne. Le pouvoir monarchique uniformise le droit et prend le pouvoir. C’est l’état qui dirige ! Il faut attendre la fin du 20e siècle pour voir resurgir l’idée. Le 7 novembre 1993, Toni Morisson, Pierre Bourdieu, Jacques Derrida, Salman Rushdie et Édouard Glissant annoncent la création du Parlement international des écrivains. L’idée est de Pierre Bourdieu. Lors d’une séance du Carrefour international des littératures, en 1991, il appelle à la création d’une «internationale des intellectuels», susceptible d’organiser une solidarité concrète avec les écrivains menacés – dans leur travail et dans leur être – par de nouvelles formes de censure. À cette époque, en Afghanistan, la lecture des Mille et Une Nuits est prohibée et certains groupes fondamentalistes américains interdisent la lecture des œuvres de Steinbeck. Le principe de la ville-refuge permet aux écrivains d’obtenir un logement et une bourse de la part de la municipalité accueillante. Cela va au-delà du simple droit d’asile. L’acte de solidarité permet à l’écrivain de continuer à travailler et à publier. Vingt-cinq villes répondent à l’appel : Berlin, Strasbourg, Caen, Venise, Göteborg, Helsinki… Le Parlement international des écrivains a été définitivement dissout en 2005.

…et les exilés syriens

Un réseau de villes-refuges se recrée lors de la crise des exilés syriens. Dans un monde où les États se désengagent, oubliant même les principes de la déclaration universelle des droits de l’homme, des municipalités décident de pallier à ces manquements. En France, il faut citer les exemples de Paris et Grande-Synthe (Nord). Dans la banlieue de Dunkerque, Damien Carême, maire écologiste, fait construire un camp de transit aux normes internationales. Paris suit son exemple et installe un camp d’accueil et un pôle d’information. D’autres villes font de même. On peut retrouver des villes-refuges en Espagne, à Barcelone et à Valence, cette dernière ayant mis à disposition des logements publics. En Italie, la maire de Lampedusa tente d’offrir un accueil digne aux réfugiés, entre deux naufrages. Elle essaie continuellement d’interpeller Rome et Bruxelles. La liste des villes d’accueil s’allonge, preuve d’un véritable élan des populations. Mais si l’idée de la ville-refuge est intellectuellement satisfaisante, elle montre aussi les difficultés que nous avons à gérer notre monde.