À l’heure du Brexit et des tensions intracommunautaires qui semblent bien mettre un terme à la période optimiste, sinon euphorique, d’élargissement continu, il nous semblait important d’interroger la contribution protestante à l’élaboration de cette « utopie concrète » qu’est l’Europe.

Contribution ambivalente, si ce n’est ambiguë, puisqu’à la fois elle tire ses racines des projets de paix perpétuelle du genevois Jean-Jacques Rousseau et du luthérien Emmanuel Kant (mais qui s’inspiraient eux-mêmes de l’abbé de Saint-Pierre), qu’elle a trouvé ses principaux relais chez quelques figures protestantes, de Denis de Rougemont à Michel Rocard et à Angela Merkel (mais aussi bien catholiques : Robert Schuman, Jean Monnet, Konrad Adenauer, Pierre Pflimlin, ou juives : Simone Weil), et qu’à l’inverse elle se heurte à l’euroscepticisme d’un Viktor Orbán. Les protestants ne sont sans doute pas les seuls bâtisseurs de l’Europe, et certains d’entre eux s’apparentent nettement à des déconstructeurs …

En ouvrant leur perspective à l’espace européen, les protestants français voient leur pourcentage dans la population globale multiplié par dix (de 3% à 30%, ce qui reste une minorité), mais accroissent également, si cela est possible, leur diversité : on rencontrera des luthériens high church en Scandinavie, des re-réformés aux Pays-Bas, des unitariens en Roumanie, des anglicans et des quakers au Royaume-Uni … Les modèles de relations entre État et cultes et les modes de sécularisation foisonnent : depuis la France, pays laïc et sécularisé, on s’étonnera de voir au Danemark un pays non-laïc mais fortement sécularisé, et en Irlande un pays laïc et faiblement sécularisé … Bref, changer de focale en sillonnant l’Europe, c’est faire l’apprentissage de la complexité. Foin, par conséquent, de toute vision schématique qui ferait des Églises protestantes un vecteur unilatéral d’édification européenne, d’engagement solidariste et de […]