Un contenu proposé par le théologien Antoine Nouis

Le 31 octobre 1999, le cardinal Edward Cassidy et l’évêque Christian Krause, président de la Fédération luthérienne mondiale, ont signé à Augsbourg une « Déclaration commune sur la  Doctrine de la justification ». Le choix du lieu est symbolique puisqu’il fait écho à la Confession d’Augsbourg qui a été, en 1530, le texte fondateur du luthéranisme.

Historiquement, c’est sur cette question de la justification que Luther a vécu sa découverte réformatrice. Il est heureux que les deux Églises soient parvenues à « un consensus dans les vérités fondamentales de la doctrine de la justification ». Même si des différences demeurent, le texte précise qu’elles ne sont plus séparatrices : « Les différences qui subsistent dans le langage, les formes théologiques et les accentuations particulières dans la compréhension de la justification… sont portées par ce consensus. » On a parlé de consensus différencié pour dire que les différences d’accentuation qui demeurent ne remettent pas en cause un consensus fondamental.

Si le consensus a été possible, c’est que la différence profonde entre catholicisme et protestantisme ne repose pas sur la question de la justification, mais sur la place et le rôle de l’Église. Pour préciser cette différence, le théologien Friedrich Schleiermacher a affirmé que la Réforme était bien plus que la protestation contre les abus de l’Église de son temps, mais une articulation différente entre le croyant et l’Église : « Le protestantisme fait dépendre le rapport de l’individu à l’Église de son rapport au Christ, tandis que le catholicisme fait au contraire dépendre le rapport de l’individu au Christ de son rapport à l’Église. » Pour le catholicisme, le Christ rejoint le fidèle à travers l’Église, alors que, dans une perspective protestante, l’Église est le rassemblement des fidèles qui ont été rejoints par le Christ. C’est ce qui a fait dire au théologien André Gounelle dans un cours sur le protestantisme : « On pourrait presque dire en exagérant les différences, et en caricaturant les choses que pour les catholiques l’Église est la mère des croyants, et que pour les protestants elle est leur fille. » La caricature du catholique est celui qui déclare : « Ce que je pense, allez le demander à Rome. » Et la caricature du protestant : « Moi, mon Dieu et ma Bible : je n’ai besoin de personne. » Ce sont des caricatures, car il existe des catholiques qui ont une vraie liberté et une profonde compréhension de ce qu’ils croient, et des protestants qui ont un sens aigu de l’Église, mais le propre des caricatures est de nous permettre de repérer les points forts et les limites de chaque position.

Sur cette pierre, je bâtirai mon Église

Traditionnellement, un des récits bibliques qui fondent l’Église est la confession de Pierre à Césarée de Philippe. Lorsque Jésus interroge ses disciples sur ce qu’ils disent de lui, Pierre répond : « Toi, tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant », ce qui est la confession de base de la foi chrétienne. Être chrétien, c’est considérer que Jésus de Nazareth n’est pas simplement un grand sage ou un prophète, mais le Christ, celui qui nous dit Dieu, qui est Dieu venu jusqu’à nous. Jésus lui répond : « Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas ; car ce ne sont pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est dans les cieux ! Moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je construirai mon Église, et les portes du séjour des morts ne prévaudront pas contre elle[1]. »

[1] Mt 16.15-19.

Lecture catholique – lecture protestante

Parce que la confession de Pierre vient de Dieu, elle est fondatrice pour l’Église : c’est pourquoi Simon est alors appelé Pierre, il est le rocher sur lequel l’Église est bâtie. Catholiques et protestants n’ont pas la même compréhension de ce verset.

Pour les premiers, la parole de Jésus s’inscrit dans une cohérence. Jésus a choisi douze apôtres parmi ses disciples, et parmi les Douze, il a accordé à Pierre une place particulière. La constitution sur l’Église Lumen Gentium de Vatican II déclare : « L’Église unique du Christ que nous confessons… a été remise (par le Christ) à Pierre pour qu’il la paisse… il l’a confiée à Pierre et aux autres apôtres pour qu’ils la portent au loin et la gouvernent[1]. » Pour les catholiques, il y a Église lorsqu’un peuple de baptisés est rassemblé autour de son évêque qui représente l’autorité de Pierre. En général, il délègue cette autorité à des prêtres. Il n’y a pas d’Église sans peuple, et il n’y a pas d’Église sans évêque.

Les protestants interrogent cette interprétation à partir du passage qui suit la confession de Pierre. Juste après avoir posé la pierre fondatrice de son Église, Jésus annonce la croix, c’est alors que « Pierre le prit à part et se mit à le rabrouer, en disant : Dieu t’en préserve, Seigneur ! Cela ne t’arrivera jamais. » Ce qui lui vaut de la part Jésus cette répartie d’une extrême sévérité : « Va-t’en derrière moi, Satan ! Tu es pour moi une cause de chute, car tu ne penses pas comme Dieu, mais comme les humains[2]. » Pierre est déclaré Satan alors qu’il vient d’être institué comme fondement de l’Église ! Si Pierre peut être Satan, ce n’est pas sur Pierre en tant qu’individu que Jésus bâtit son Église, mais sur Pierre en tant que disciple qui reconnaît Jésus comme Christ. L’Église est fondée sur tous ceux qui confessent cette foi-là.

Pour le protestantisme, un autre verset qui fonde l’Église est celui dans lequel Jésus déclare : « là où deux ou trois sont rassemblés pour mon nom, je suis au milieu d’eux » (Mt 18.20). L’Église est une institution, une organisation, car notre humanité a besoin de visibilité, mais elle est avant tout un événement, c’est-à-dire qu’elle devient présente lorsque des frères et sœurs sont rassemblés autour de l’Évangile. C’est ce qui a fait dire aux réformateurs qu’il y a Église là où l’Évangile est proclamé et où les sacrements sont partagés. Pour les protestants, ce n’est pas Pierre en tant qu’homme particulier qui fait l’Église, mais Pierre en tant que frère dans la foi. Pour qu’il y ait Église, il suffit d’une Bible et de quelques frères, et quand on a un morceau de pain et un peu de vin, c’est encore mieux.

[1] Lumen Gentium, 8.

[2] Mt 16.22-23

L’Église éternelle

Dans une perspective catholique, l’Église est éternelle, car elle est fondée sur le Christ et qu’elle a une organisation qui a traversé les siècles. Les protestants sont moins attachés aux institutions. Toutes les confessions de foi de la Réforme ont affirmé que l’Église de Jésus-Christ est éternelle, mais son éternité ne repose pas sur la solidité d’une institution, mais sur la fidélité de Dieu qui garde sa parole vivante pour les siècles des siècles. Je ne suis pas sûr que dans un siècle l’institution de mon Église existera toujours, mais je suis sûr qu’il y aura toujours des hommes et des femmes qui se rassembleront autour de l’Évangile et qui seront nourris par la Parole.