Penchée sur son berceau, Épaphrodite (1) lui a offert ses bons vœux. La grand-mère, qui tenait une maison de retraite dans la campagne normande, n’a eu de cesse de parler de Dieu à Charlotte. Ça marque. Autour du même berceau, une atmosphère patriarcale. Nous n’entrerons pas dans les détails, mais ça marque aussi.

Très tôt, Charlotte prend le contre-pied du discours ambiant et revendique la même liberté que son frère. Elle caracole en tête de classe jusqu’au bac, puis choisit une carrière scientifique. Elle veut savoir pourquoi les choses sont ainsi et pas autrement, et prouver « qu’une femme peut aussi réussir en sciences ». Elles ne sont qu’une poignée de filles pour une centaine de garçons dans l’amphi.

Son doctorat de physique en poche, Charlotte Lemoine obtient la qualification de maître de conférences en nanomatériaux à l’université de Rouen. Une belle victoire pour la gent féminine, mais le cœur n’y est pas. La jeune femme déchante : « Je me suis aperçue qu’on ne savait pas grand-chose, que l’infiniment petit est aussi mystérieux que l’univers, je me suis alors intéressée aux sciences humaines. »

La jeune scientifique s’engage dans le secteur associatif. Elle accepte la charge de trésorière dans l’association qu’un collègue vient de créer. Handisup accompagne les lycéens en situation de handicap dans leurs études supérieures jusqu’à l’emploi. « L’injustice m’a toujours révoltée. Je ne voyais pas pourquoi quelqu’un, sous prétexte qu’il n’entendait pas ou était dans un fauteuil, ne pouvait pas faire d’études. » Pendant un an, elle est bénévole à Handisup, puis signe un CDD, alors même qu’un poste de chercheur lui est proposé. « J’avais la certitude que c’était ma voie. » Elle reprend ses études en parallèle et décroche un master RH (2).

À Handisup, Charlotte Lemoine se sent utile. Elle apprend énormément au contact des étudiants handicapés, monte un forum, sillonne la région, trouve des mécènes, décroche des subventions, se forme à la psychologie du travail, embauche cinq salariés, recrute quatre-vingts bénévoles et devient experte pour le ministère de l’Enseignement supérieur. Avec un spécialiste de l’autisme, elle monte le projet S.I.M.O.N., premier job coaching dédié aux étudiants Asperger (3). Plus de quatre cents jeunes par an bénéficient des services de l’association.

Dix ans passent, Charlotte Lemoine veut faire bouger les lignes et s’engage en politique. Elle est élue conseillère municipale de Sotteville-lès-Rouen puis vice-présidente de la région Haute-Normandie. Mais son parti perd les élections. « Être élue a été une expérience très riche, mais frustrante. Les associations ont moins d’inertie. » Son expérience lui ouvre la porte de responsabilités nationales. Elle assure le secrétariat général du Groupement national de coopération handicaps rares et siège au Conseil national des personnes handicapées, avant de revenir en Normandie pour offrir son expertise au Centre ressources autisme.

En quête de sens, la femme politique envisage de devenir pasteure. « J’avais un peu perdu la foi à la fac de sciences. Après le décès de mon compagnon, j’ai eu la conviction qu’il y avait autre chose. » Quand elle voit l’offre de la FEP, elle sait qu’elle a les compétences en direction-management et le côté spirituel l’attire. « Notre société essaie de gommer les croyances, il faut être rationnel. Mais il y a autre chose, une transcendance, des phénomènes physiques inexpliqués qui témoignent d’une force qui organise le monde et que nous, on appelle Dieu. Je me suis dit qu’avec la FEP, il y avait cet enjeu. » 

Charlotte Lemoine écrit (elle a obtenu un prix littéraire), taquine la guitare, et a une passion pour la photographie… Elle a deux cerveaux, un qui réfléchit et un qui exalte la vie. « Parfois, ce n’est pas dans la tête que ça se joue, mais dans le cœur ; tout doit être lié et cohérent. »

1 Le lecteur tatillon ne cherchera pas midi à quatorze heures, Épaphrodite est le prénom de la grand-mère.

2 Master en gestion des ressources humaines.

3 Le guide S.I.M.O.N. est à la disposition des employeurs qui recrutent des personnes autistes Asperger ou de haut niveau