Ainsi, nous sommes libérés de toute assignation identitaire, du poids des représentations et des justifications. En une seule phrase, disons que Jésus Christ nous donne une identité qui dépasse toutes nos identités.

D’où qu’il vienne, quels que soient son code génétique, sa pigmentation de peau, sa culture, le chrétien, homme ou femme, prend place dans l’héritage spirituel du peuple de Dieu. Par pure grâce, le Christ, nous fait entrer dans une ère nouvelle, celle de la foi, la foi ici comprise comme relation et mouvement de l’être par lequel je reconnais que Dieu fait de moi son fils, sa fille.

Nous sommes tous les descendants d’Abraham en tant qu’héritiers des promesses faites à Abraham. Tous, patriciens ou esclaves, Juifs, Grecs ou venant des îles lointaines, tous descendants d’Abraham par la foi en Jésus Christ.

L’Évangile est une révolution car si la foi seule met l’être humain, quelle que soit son origine, au bénéfice des promesses de Dieu, c’est donc que toutes les distinctions ethniques, nationales, sociales sont dépassées par l’événement Christ. Non pas supprimées, mais dépassées !

Plus de catégories privilégiées qui nous permettraient d’entrer en relation avec Dieu, plus de séparations, tout cela est devenu dérisoire comparé à l’existence nouvelle qui nous est donnée, à la dignité dont nous sommes revêtus en Jésus Christ.

« Revêtus en Christ » : cette expression de Paul fait penser aux textes de l’Apocalypse où les fidèles du Christ sont revêtus de robes blanches de lin fin, c’est-à-dire revêtus devant Dieu d’une dignité et d’une identité nouvelles.

Ce qui me fait dire que notre identité n’est jamais figée mais toujours en devenir car elle est ce mouvement lancé vers l’existence.

Affirmer cela m’importe aujourd’hui car je partage le constat amer du professeur de théologie Guilhen Antier qui relève ce paradoxe : « Curieusement, à l’heure où le respect des différences est brandi en étendard de la morale universelle, c’est précisément l’universalité qui est battue en brèche et de toutes parts contestée. »

Je partage aussi l’analyse d’Élisabeth Roudinesco, qui voit dans l’auto-affirmation de soi et le repli narcissique les signes distinctifs d’une époque où chacun cherche à être soi-même « comme un roi et non pas comme un autre».

Dérives identitaires qui se traduisent par des identités fermées, victimaires, où l’on nous fait croire que nos vies seraient déterminées de bout en bout par nos appartenances ethniques, nos orientations sexuelles, nos héritages familiaux ou nos histoires communautaires, où l’on nous assigne en quelque sorte à résidence en disant : « Vous êtes nés ceci ou cela, vous êtes victimes, les autres sont des coupables… »

Loin de la rivalité et du ressentiment, le chrétien résiste à ce type d’assignation ou de fatalisme, car comme l’écrit Guilhen Antier : « La capacité de relire son histoire à partir de Jésus Christ permettra toujours d’y découvrir des raisons de se mobiliser, de se projeter, de se reconstruire. En Christ, ma vie n’est plus un destin tout tracé qui m’oblige à me situer dans le sillage des injustices qui m’ont précédées, à me conformer aux ordres de mon clan, mais un processus au sein duquel œuvre du possible, du toujours plus possible que ce que je croyais possible.»

Le christianisme est un universalisme étranger à toute forme de racisme ou de nationalisme, il est aussi le refus de toute forme de communautarisme.

Être chrétien c’est appartenir à un corps plus large que moi, ma bande, ma tribu, mon clan, ma communauté…

Suivre le Christ, c’est toujours sortir de nos « libidos d’appartenance » pour reprendre ici l’expression du philosophe Michel Serres.

Or, aujourd’hui, le maître mot c’est précisément « l’appartenance », appartenance à de sous-catégories humaines qui, dans un parler obscur, conduit chacun à mettre en avant sa « positionnalité » subjective : origine, genre, vécu victimaire, généalogie, orientation sexuelle.

Folie identitaire qui, comme l’écrit Élisabeth Roudinesco, ressemble à un puits sans fond, puisqu’elle conduit ceux qui s’en disent les adeptes à reproduire des discriminations autrefois combattues puis à inventer des catégories destinées à opposer les uns aux autres selon les modalités d’une culture de la dénonciation perpétuelle, chacun étant catalogué en vertu d’identités de plus en plus étroites.

Loin de ce culte de l’individu où le sujet se réduit à une identité assignée, l’Esprit saint nous mobilise, nous déplie, nous engage dans une fraternité agissante où les intérêts particuliers de groupes restreints ne prennent pas le dessus sur un idéal universel qui caractérise l’Église dès sa naissance. Rappelons-nous l’importance de la table dans l’Église primitive où se rassemblaient et mangeaient ensemble des hommes et des femmes de toutes conditions sociales et d’origines très différentes.

En Christ qui vient à notre rencontre jour après jour, nous confessons que notre identité ne repose pas toute en nous comme une donnée biologique, ou historique. Nous confessons que notre identité est au-devant de nous.

Ce « nom nouveau » signifie notre être authentique, notre personne sauvée, pardonnée, libérée…

Loin de la revendication identitaire, de l’auto-nomination, ce « nom nouveau » donné par un autre signifie que nous sommes dans un flux de l’être qui apporte toujours des retournements, des renouvellements et des révélations sur ce que nous sommes en « vérité » ; cela signifie que nous sommes toujours en chemin vers nous-mêmes, vers autrui et vers Celui qui nous nomme.