Par le Rabbin Daniela Touati, synagogue libérale Keren Or de Lyon
Les deux récits de la création ont certes quelques points communs, mais surtout beaucoup de différences. Ces différences ont été un véritable casse-tête pour nos rabbins et le plus éminent commentateur d’entre eux, Rachi, car la Torah ne peut se contredire comme elle ne peut répéter une même histoire en vain. Un récit ne peut annuler l’autre… alors, comment faire ? Une des solutions trouvées par Rachi qui se base sur différentes aggadot (récits du talmud et midrash) a été de dire que le récit qui figure en premier dans la Torah, qui relate une Création en 6 jours et un septième jour, le shabbat consacré au repos, est une sorte de résumé alors que le récit qui figure en Genèse 2 est celui qui détaille la procédure : comment l’Éternel a réellement fait pour créer la flore, la faune et l’être humain.
On a appris grâce aux biblistes contemporains que le texte de Genèse 1 est historiquement le plus récent ; additionné comme une préface à la Torah par ceux qui ont édité la Bible. Ce récit, qui apparaît en premier, exprime une vision théologique du monde : l’homme a été créé à l’image de Dieu, avec une double face ou une androgynie initiale. Le récit de Genèse 2 apporte une vision totalement divergente : l’humain a une position dominante sur le monde animal, qu’il va nommer espèce par espèce, y compris la femme issue d’un de ses côtés… D’une androgynie initiale, où le genre a peu d’importance, et ce qui compte étant la ressemblance ou la connexion entre l’homme et le divin, on passe à une humanité divisée en deux genres.
L’invention de Lilith
Afin d’harmoniser ces deux histoires primitives, un rabbin anonyme de la période Guéonique (entre 700 et 1 000 de notre ère) écrit l’Alphabet de Ben Sira d’où est issue la légende de Lilith. Sentant une tension très vive entre les deux récits de la création et pour combler le vide de la narration ainsi que ses contradictions, il invente de toutes pièces une proto-Hava, appelée Lilith (Lililtu, nom akkadien d’une divinité sumérienne). Cette première femme, d’après le récit midrashique, a souhaité être l’égale de l’homme, et a même exigé de le dominer pendant l’acte sexuel, horreur absolue ! Pour ce comportement inapproprié, il est dit que l’Éternel a envoyé des anges pour la capturer, mais elle ne s’est pas laissé faire, et Dieu a menacé de faire périr 100 enfants tous les jours si elle ne revenait pas ! Les anges ont tenté alors de la noyer dans la mer des Joncs, mais elle s’est échappée et a menacé de rendre les enfants malades. Adam, étant de nouveau seul, a demandé une nouvelle compagne et là est arrivée Ève, plus docile et modeste, qui s’est contentée d’être issue d’un côté d’Adam et d’être une compagne aidante… à défaut d’être aimante !
Lilith, cette femme trop puissante, fait peur aux hommes et plusieurs aggadot du Talmud parlent d’elle comme d’une sorte de démone qui hante les rêves des hommes… Ainsi fut créée de toutes pièces cette vision de la femme menaçante.
Le chemin de l’harmonie
À notre tour, nous restons perplexes devant ces deux récits, représentant deux visions du monde, deux modèles théologiques de l’humanité, et en particulier de la relation homme-femme, sommés de choisir… mais faut-il choisir un modèle contre l’autre ? Faut-il à notre tour rentrer dans cette guerre des sexes plurimillénaires ? Ou plutôt réaliser que cela nous indique un chemin vers l’harmonie initiale d’un être humain, homme et femme, créé à l’image de Dieu ?