Quel est pour vous le cœur de la transmission?
Philippe : La transmission ne s’impose pas. C’est un cheminement dans la durée. Un compagnonnage. On n’a jamais fini de transmettre.
Martine : Contrairement à la communication, qui est instantanée, la transmission est une traversée. Elle suppose un temps long, oblige à ralentir, et parfois à reconsidérer ce qu’on a transmis.
P : La transmission doit être digérée, repensée. Celui qui reçoit s’autorise à penser par lui-même. Transmettre, c’est amener l’autre à s’interroger, à se vivre comme sujet. L’objectif n’est pas d’en faire un clone !
Qu’avez-vous souhaité transmettre à ceux que vous avez accueillis?
M : Que chaque personne est unique et précieuse. Il n’y a pas de destin implacable.
P : Une femme accueillie nous a dit en partant : « J’avais l’impression que vous ne posiez pas de questions, mais que vous offriez une conversation ; quelque chose s’est ouvert en moi. »
M : Quelquefois, être là suffit. Notre présence transmet quelque chose de l’ordre de l’espoir. Je suis porteur d’un espoir pour toi, une petite lumière qui te dit que tu vas y arriver, que ton futur est possible.
Et quand ce que nous disons n’est pas corrélé à ce que nous faisons?
P : Dans ce cas, nous ne sommes pas crédibles. Jésus disait aux gens d’écouter les pharisiens, mais de ne pas les imiter, « car ils ne mettent pas en pratique ce qu’ils enseignent » (Matthieu 23.3.). La transmission requiert la confiance.
M : Nous transmettons ce que nous sommes, tissés de beaucoup d’héritages, de rencontres, de lectures, d’expériences.
Peut-on toujours se comprendre?
P : L’autre vit peut-être un drame mais on ne peut y accéder, tant on est occupé à essayer de le sortir de là, de le rassurer… ou de se rassurer.
M : Cette présence inspirante n’est pas un silence voyeur, on ne pose pas de questions, on est attentif à l’autre. Il vit une véritable écoute, peut-être pour la première fois. Il va pouvoir s’écouter lui-même, dans son fracas intérieur.
P : Ce qu’on transmet est presque du domaine du sacré, on se déchausse comme Moïse devant le Buisson ardent (Exode 3.1-7), la personne expérimente un feu qui ne s’éteint pas mais on est là, à côté d’elle, et ce feu ne la consume pas.
Peut-on échouer dans la transmission?
P : Si on a à cœur de transmettre, il faut accepter d’être trahi en partie. Ce que l’on transmet est vu à travers un nouveau prisme et peut être compris autrement. Un peu comme une traduction, elle n’est jamais tout à fait fidèle. Il y a toujours un petit décalage.
M : Si le décalage est trop grand, on ne sait plus ce qu’on a transmis. Ainsi certaines associations ont perdu le cœur du travail entrepris.
P : Les rites, les fêtes contribuent à la transmission. On peut se réjouir au milieu du malheur. Le simple fait d’exister est un sujet de joie inépuisable.