Lorsque je passe devant les grilles fermées du temple et que les portes de la bâtisse sont ouvertes, j’aperçois une ombre circulant dans les travées et cela m’intrigue. Un jour, je m’introduis dans le lieu. Lorsque la personne me voit, elle me demande : « Bonjour, que faites-vous là ? Le culte, c’est le dimanche matin. Là, je nettoie. » La voix tonitruante dans cet espace silencieux me saisit. Cette voix colle avec ce corps alourdi par le poids de l’âge, ce corps qui boîte légèrement, soutenu par une canne, et qui lui donne une posture « churchillienne ». Je prétexte un moment de recueillement pour mieux observer ma rencontre. Celle-ci se remet à son œuvre. Seule. Pieds nus.
Le ménage comme prière
Elle danse. Époussette. Frotte. Remplit son seau. Lave le sol, les marches. Astique les bancs. Revient sur ses pas, vérifie son travail. S’arrête quelques instants. Elle rentre à nouveau dans son silence actif. J’observe ce corps aux gestes rapides et lents à la fois, techniques et précis. Il émane de sa danse une offrande, un travail au service de Dieu, dans une dimension spirituelle intérieure. Ce corps ne travaille pas. Il prie… Oui, il prie.
Je prends l’habitude de revenir voir et écouter celle que je surnomme l’ancillaire prieuse. Je rentre dans son monde qu’elle livre par bribes : une enfance dans le pays de Rimbaud, sa vie cabossée, la galère, ses trois enfants élevés avec son salaire de femme de ménage, sa solitude. Sa lecture de l’évangile. Sa foi puissante et profonde. Sa joie de voir grandir ses petits-enfants dans des familles solides et aimantes. « Moi, au départ, je suis une prieuse qui fais le ménage. » dit-elle. « Je fais le ménage, c’est ma prière. » Cette réflexion me laisse perplexe. Le ménage, un acte tellement trivial. Et Dieu, tellement haut, tellement grand…
La peinture pour rendre grâce
Puis, je découvre la face artistique de la prieuse. Plus complexe, plus singulière. Alors j’apprends à écouter ses peintures faites de couleurs vives et de personnages représentés par de grands oiseaux au plumage noir et luisant et aux yeux ronds et inquiétants, et, pour me faire plaisir, accompagnés par un gros rat sombre, les premiers ayant survécu aux dinosaures, le second devant survivre à la fin du monde.
L’ancillaire prieuse représente pour moi une figure spirituelle. Une femme qui vit sa foi dans ses gestes de soin. Soin du mobilier, de la propreté de l’espace de l’église, de la cour, des pavés. Soin des paroissiens. Une femme qui sait que Dieu l’accompagne, aussi bien lorsqu’elle fait le ménage que lorsqu’elle peint. L’ancillaire prieuse est une femme peintre dont l’univers artistique est reconnu par des artistes, des responsables de musées, et le public qui découvre ses œuvres lors d’expositions estivales, ou dans des lieux privés. L’ancillaire prieuse rend grâce à Dieu en lui offrant sa danse et sa peinture.