L’apport de la jeunesse protestante française n’a pas toujours été pris au sérieux. Pourtant, voici un terrain très révélateur de la capacité d’une religion à se pérenniser, dans un contexte de sécularisation avancée et de recul de la pratique religieuse. C’est particulièrement vrai pour le protestantisme. À l’aube du XXIe siècle, Arnaud Baubérot écrivait un article retentissant, intitulé : « Le protestantisme malade de sa jeunesse »[1]. Quinze ans plus tard, la tendance s’est inversée. La jeunesse protestante est de retour en France !
Mobiliser les jeunes protestants français après un creux de la vague
La remobilisation autour d’une transmission plus explicite de la foi est désormais de règle. En leur sein, les évangéliques, à vrai dire, n’ont jamais délaissé cette dimension, fidèles à leur culture militante et leur appétit à témoigner. Ils ont développé d’années en années des structures d’encadrement qui permettent, aujourd’hui, des mobilisations d’ampleur, comme le mouvement « Bouge Ta France », qui s’organise pour évangéliser les villes de l’hexagone à l’occasion des 500 ans de la Réforme. Côté réformé et luthérien, en revanche, la prise de conscience est plus récente. Elle date d’un quart de siècle, et les décisions n’ont suivi que peu à peu. Transmettre et partager la foi auprès des jeunes est redevenu tendance. L’évolution s’est traduite, depuis le premier Grand Kiff (2009), par une capacité de mobilisation chrétienne qu’on ne prédisait plus aux luthériens et réformés de France. Cette jeunesse, aujourd’hui joyeusement moblisée au travers de l’EPUdF, revient de loin.
Car durant des années, particulièrement dans les cercles protestants réformés, l’encadrement chrétien de la jeunesse s’était délité. L’explicitation de l’offre de conversion s’était transformée, à partir des années 1950, en une conception plus passive de l’annonce évangélique : « pourvu que l’Église soit l’Église, sans qu’elle le veuille l’évangélisation a lieu », proclamait par exemple un rapport présenté au synode régional de l’ERF en novembre 1962. Les mouvements de jeunesse ont été les premiers touchés par cette évolution. Les sociologues décrivent ce processus comme une sécularisation interne : une perte de substance chrétienne, au sein même des Églises et de leurs structures d’encadrement des jeunes. Arnaud Baubérot souligne à propos des mouvements de jeunesse réformés et luthériens : « Si on l’a paré de toutes les vertus, le principe d’ouverture n’en a pas moins été soigneusement désamorcé de sa charge évangélique. De sorte que la croissante autonomie des mouvements à l’égard des institutions ecclésiales ne s’est pas traduite par un retour à l’élan missionnaire originel ». Les conséquences se sont traduite par une crise d’identité des structures d’encadrement de la jeunesse protestante[2]. Nourrissant peu à peu des inquiétudes sur la relève…
Lyon (2009), Grenoble (2013), Saint-Malo (2016) : 1,2,3 Grand Kiffs
La page semble tournée aujourd’hui, et le succès remarquable du Grand Kiff, depuis 2009, en témoigne. Qu’est ce que le Grand Kiff ? C’est un événement festif et chrétien organisé durant l’été par luthériens et réformés (aujourd’hui réunis dans l’EPUdf), adressée aux jeunes de 15 à 25/30 ans, de toutes les Églises. Ce qui signifie qu’il n’est pas nécessaire d’appartenir à l’EPUdF pour s’y inscrire. La désignation de l’événement renvoie à un mot courant du « language jeune », inspiré de la langue arabe : kiffer, c’est aimer beaucoup ! Alors un GRAND Kiff, quelle promesse ! Dans son contenu, il propose enseignements, activités ludiques, ouverture sur le monde associatif, concerts, expositions, le tout accompagnée d’une bienveillance protestante assumée.
La première édition s’est déroulée à Lyon, du 18 au 22 juillet 2009. Près de 1200 jeunes ont pu s’y rendre, battant en brêche, au passage, l’idée d’une Église réformée vieillissante, vouée à ne mobiliser que les aînés. Son thème ? Chrétien et fédérateur : « Dieu aime le monde » (inspiré de la Bible et du verset de Jean 3 : 16). Au fil des journées, la formule se révèle efficace, appréciée, prometteuse. « Opération réussie pour L’Église Réformée de France », observe Bernadette Sauvaget dans les colonnes de Réforme (22 juillet 2009). Cette édition n’était pas prévue, au départ, pour faire des petits. Mais devant le succès, presqu’inattendu, de la manifestion, un second opus du Grand Kiff s’est mis en place.
C’est à Meylan/Grenoble, du 26 au 30 juillet 2013, qu’il s’est tenu autour d’un autre grand thème des Évangiles : « Vous êtes la lumière du monde » (inspiré du verset biblique Matthieu 5 : 14). 1100 participants de 15 à 25 ans s’y sont retrouvés à l’appel du pasteur Marc Schaefer, responsable national du réseau Jeunesse et organisateur du Grand Kiff. À cette occasion, un superbe cahier d’animation de 57 pages préfacé par Laurent Schlumberger décline, pour les participants, des réflexions théologiques, des paroles de jeunes, des réflexions pédagogiques, des animations bibliques, intergénérationnelles, tout en présentant un Festival des créations, « une journée pour créer sur place ou pour apporter une création construite durant l’année ».
En ce mois de juillet 2016 se déploie le troisième Grand Kiff, du 24 au 28 juillet à Saint-Malo, après un temps de préparation animé dans toute la France par deux jeunes ambassadeurs motivés, Edgard Paret et Lalaji Montoya. 1500 jeunes sont attendus, répartis entre Alter Kiff (pour les 18-30 ans) et Grand Kiff proprement dit (pour les 15-20 ans), dont le thème, inspiré directement de l’Evangile, s’intitule : « Et vous, qui dites-vous que je suis ? » (cf. Luc 9 : 20). Comme dans les éditions précédentes, le témoignage protestant assumé et l’accent sur la foi sont mis en avant, avec cap sur la préparation des 500 ans de la Réforme en 2017. Les participants sont invités à « s’exprimer sur leurs thèses pour l’Évangile, dire et vivre leur foi, vivre cette foi et la dire tous ensemble ».
[1] Arnaud Baubérot, « Le protestantisme malade de sa jeunesse”, Etudes Théologiques et Religieuses, t.76, 2001/2, 247 à 264
[2] Sur l’arrière-plan de cette crise, consulter notamment le numéro spécial du Bulletin de la Société de l’Histoire du Protestantisme Français (BHSPF) coordonné par Gabrielle Cadier-Rey, intitulé Sur les mouvements de jeunesse (3e trimestre 1997).