Il s’agit donc ici, par un artifice d’écriture, d’isoler ce qui est mêlé au reste de la pâte humaine. En outre, l’identité protestante constitue elle-même une résultante de références théologiques, expériences historiques, et tentatives de vivre dans un contexte précis.

La référence théologique renvoie aux trois mots d’ordre de la Réforme : Dieu seul, la Bible seule, la grâce seule. Dieu, la Bible et la grâce se trouvaient déjà présents dans le catholicisme. La prise de distance se situe donc dans l’adjonction de l’adjectif « seul », lourd de potentialités, de ruptures permanentes ou nouvelles, et dans la conjonction des trois « seuls » : Dieu, dont Jésus-Christ est le seul médiateur, se fait connaître par l’Écriture seule et ne délègue sa grâce à aucune institution.

Une certaine subjectivisation de la foi a contribué à faire émerger démocratie et laïcité.

C’est, historiquement, ce qui a engendré la pluralité des Églises protestantes : l’impossibilité de constituer une « vraie » Église face à la catholique romaine. Si l’institution n’est pas médiatrice, il n’existe pas de coïncidence possible entre unicité et vérité. La vérité suppose la liberté car, sans elle, elle n’est qu’hypocrisie. Une certaine subjectivisation de la foi a contribué à faire émerger démocratie et laïcité. Ce n’est pas par hasard que les Anglais, les premiers, ont commis le « sacrilège » de régicide légal (mise à mort de Charles Ier en 1649), et si la première entité politique laïque (où la liberté de conscience existait même pour les païens et les antichrétiens, et où l’autorité du pouvoir politique ne s’exerçait que dans les « matières civiles ») a été le Rhodes Island, créé en 1636 par le pasteur baptiste Roger Williams. Mais, selon Boileau : « Tout protestant est pape, Bible à la main » ; ce qui signifie que la liberté ne peut évacuer le problème de la vérité.

Aujourd’hui, à chacune et chacun de trouver comment actualiser cet art de vivre. Deux pistes, à partir du rappel qu’historiquement, le protestantisme français a constitué une minorité située à la frontière des deux France : la France « fille aînée de l’Église » et la France laïque, héritière de la Révolution. Première piste : se montrer beaucoup plus exigeant en matière d’œcuménisme. Émettre une critique théologique des problèmes récurrents de pédophilie ecclésiastique est indispensable car, au-delà des fautes morales dont des membres d’autres Églises et d’autres institutions (comme l’école…) peuvent avoir été responsables, c’est toute l’anthropologie catholique, la sacralisation du clerc et l’énoncé de « lois naturelles » qui ne sont plus tenables.

Affirmer également haut et fort que refuser l’accès des femmes à la prêtrise car Jésus était un homme témoigne d’un rapport à la Bible qui masque une volonté de puissance. Seconde piste : désacraliser la laïcité dominante. En érigeant, en fait, un devoir de blasphème, on commet à l’égard de la liberté d’expression la même erreur que celle commise, avant #Metoo, à l’égard de la liberté sexuelle. En abordant le problème du « radicalisme religieux » par l’opposition entre une loi des hommes et une loi de Dieu, on s’enferre dans le même dilemme que par l’opposition insoluble entre science et foi. L’alternative n’est pas entre une laïcité stricte ou ouverte, elle est entre une laïcité religion civile et une « laïcité d’intelligence ».