Le contexte de l’Église presbytérienne1 de Minyara
Minyara est un village d’environ 5000 habitants situé dans la province de l’Akkar, tout au nord du Liban. Minyara compte cinq Églises différentes : grecque orthodoxe, grecque catholique (melkite), maronite, baptiste, en plus de la communauté presbytérienne 2 . La communauté grecque orthodoxe est la plus importante confession du village et l’église baptiste la plus petite. La communauté presbytérienne est la deuxième en taille, avec environ 500 personnes. Les villages environnants comptent en outre des habitants sunnites et alaouites 3.
L’Akkar est la région la plus pauvre du pays et compte 300 000 libanais appartenant à différentes confessions religieuses. Cette pauvreté s’étend à tous les aspects de la vie économique, culturelle, infrastructurelle, etc. La population se compose de sunnites, d’alaouites, de chiites, de grecs orthodoxes, de grecs catholiques, de maronites et de protestants. Les musulmans sunnites sont majoritaires tandis qu’au niveau chrétien l’Église grecque orthodoxe est la plus importante (environ 20% de la population). Ces proportions jouent un rôle important au Liban en raison de son système politique confessionnel.
Par ailleurs la région accueille environ 300 000 réfugiés syriens : un réfugié pour un citoyen! Ce ratio est sans doute le plus élevé au monde. Ces réfugiés syriens sont à 99% sunnites et sont parmi les plus pauvres du Liban. Enfin, la province abrite le deuxième plus grand camp palestinien du Liban avec 40 000 habitants.
Au cours des dernières années la situation en Akkar s’est considérablement aggravée pour tous ses résidents, citoyens ou réfugiés, en raison de l’effondrement économique du Liban.
La mission de notre paroisse
La communauté protestante de Minyara, fondée en 1880, est l’une des plus grandes du Liban. Elle est très active dans les domaines sociaux et culturels, parallèlement à sa mission spirituelle et théologique.
Nous entretenons de bonnes relations avec toutes les autres églises du village, ainsi qu’avec les communautés musulmanes et chrétiennes des environs. La grande pauvreté de notre région touche toutes les populations et tous les domaines de la vie sociale. Les besoins sont donc importants et touchent la vie quotidienne de chaque famille. C’est pourquoi notre communauté s’efforce de développer sa mission en s’engageant dans de nombreux domaines.
En plus des activités et rencontres d’ordre spirituel et théologique, nous avons mis en place de nombreux engagements sociaux, culturels et médicaux dont voici la description :
L’église gère un centre éducatif pour enfants syriens réfugiés. Ce centre, qui dépend de notre Synode, est en service depuis 2016 et accueille actuellement 65 enfants. Le centre leur offre des cours dans les domaines fondamentaux, des repas, un suivi médical, du soutien psychologique, des activités ludiques, le tout dans une atmosphère aimante.
2. L’église a établi, au cours des deux dernières années, un centre social et culturel qui sert toute la localité de Minyara et ses environs. Le centre comprend un dispensaire médical caritatif, une librairiepapeterie, un magasin d’occasion, une bibliothèque, un club sportif, un centre de musique et d’art et une maison d’accueil pour des séjours.
3. Le dispensaire, établi en 2015, est au service de tous : Libanais et Syriens, chrétiens et musulmans, sans aucune distinction. Depuis un an et demi, nous avons signé un accord avec une ONG appelée ANERA qui nous permet de fournir chaque mois des médicaments pour 339 patients atteints de maladies chroniques. Le dispensaire organise aussi différentes campagnes pour offrir gratuitement des soins médicaux, des examens de santé, des aliments pour nourrissons, des couches pour bébés et personnes âgées.
4. La librairie et la papeterie comblent un réel manque dans notre localité et permettent de bénéficier de différents services. Notre librairie est le seul endroit dans tout le nord du Liban où l’on peut acheter une bible.
5. Le magasin d’occasion a été mis en place dans le contexte de l’effondrement économique du pays. Les vêtements et articles sont donnés gratuitement et revendus à des prix très bas. Les revenus générés sont utilisés pour soutenir des familles pauvres.
6. La bibliothèque offre un espace où les jeunes peuvent étudier et se rencontrer, et où tout le monde peut emprunter des livres.
La maison d’accueil peut accueillir jusqu’à 30 personnes pour des retraites, des ateliers et des conférences.
8. Le centre social et culturel propose une multitude d’activités : cours de gymnastique, tennis de table, football pour les enfants, cours de fitness pour femmes, leçons de musique, chorale, activités artistiques et aide aux devoirs. Le centre s’adresse à des personnes de tous les âges et de toutes les confessions. Parmi les adultes bénéficiaires il faut souligner la présence de nombreuses femmes.
9. L’Église fournit également différentes aides sociales, du soutien financier, des colis alimentaires, de l’accompagnement psychologique.
10. Enfin, l’Église construit actuellement, avec le soutien de l’ACO, un centre d’activités dédié aux enfants.
Notre Église se sent depuis toujours appelée à jouer un rôle qui brise les barrières séparant les différentes communautés présentes en Akkar. La création de ponts entre les différentes communautés religieuses, affiliations politiques et populations est en parfaite cohérence avec la théologie et la mission de l’Église.
Notre théologie
La mission de notre communauté découle d’une conviction théologique profonde de l’Église comme messagère et témoin du Royaume de Dieu, et d’une compréhension claire de la nature holistique 4 de ce témoignage et de ce Royaume
Nous croyons que le Royaume de Dieu englobe tous les aspects de la vie. La dimension sociale était une partie essentielle du ministère de Jésus, et toute église qui n’a pas cet aspect a un réel problème d’identité. Nous croyons en l’unité de la personne humaine, que toutes les choses qui la constituent sont reliées les unes aux autres, et que nous sommes donc appelés à servir l’ensemble de l’être humain.
Nous croyons que les dimensions sociales, psychologiques, médicales et culturelles de la mission chrétienne sont importantes en elles-mêmes et ne sont pas seulement des moyens ou des outils au service des aspects spirituels ou théologiques.
Nous croyons que nous sommes appelés à porter la Bonne Nouvelle au monde entier, à tous ceux qui nous entourent et à tout ce qui nous environne, car la Bonne Nouvelle s’adresse à tous les niveaux de la vie.
Nous croyons que si nous existons dans cette région de l’Akkar, au Liban, au Moyen-Orient, c’est pour jouer un rôle sans lequel notre existence perd son sens. En d’autres termes, nous devons nous demander pourquoi le monde s’inquiète tant de la présence chrétienne au Moyen-Orient. Pourquoi cette présence est-elle importante ? Parce que nous serions une espèce en voie de disparition perdue dans la folie de cette partie du monde ? Ou parce que nous avons une vocation particulière, un rôle à jouer ? Si nous ne sommes pas engagés dans notre mission, notre présence perd son sens et il n’y a pas lieu de regretter notre disparition.
Nous sommes conscients de nos limites et savons que l’échec fait partie de la vie. Cependant, nous nous rendons compte que le bon serviteur décrit par les Évangiles n’est pas celui qui réussit tout, mais plutôt celui qui se montre fidèle. Nous essayons donc de tout faire en étant aussi fidèles que possible.
Nous croyons que nous faisons partie de l’Église de Jésus-Christ, qui est Une dans le monde entier. Nous sommes conscients que nous sommes tous membres d’un même corps, que nous sommes chacun appelé à jouer notre rôle et à nous compléter les uns les autres.
Enfin, nous savons que nous vivons une situation très difficile en Akkar, au Liban. Cependant, nous croyons que les crises sont les moments mêmes où les Églises doivent développer leurs théologies et écrire leurs propres chapitres de l’histoire du peuple de Dieu. C’est ce que nous sommes appelés à faire et à vivre maintenant.
Une telle conviction, une telle compréhension et une telle théologie sont le moteur de tout ce que nous faisons et essayons de faire, aussi fidèlement que possible. Que toute la gloire soit à Jésus-Christ !
Par HADI GHANTOUS pasteur de Minyara, Liban
1 Le terme de «presbytérien» provient du monde anglo-saxon et correspond au protestantisme réformé héritier de la théologie de Jean Calvin. La paroisse protestante de Minyara fait partie du «National Evangelical Synod of Syria and Lebanon», une Église presbytérienne membre de la Communion Mondiale d’Églises Réformées.
2 Le Liban compte onze confessions chrétiennes différentes, issues de l’histoire complexe du christianisme oriental.
3 L’appartenance des alaouites à l’islam fait débat pour les musulmans car leurs croyances particulières proviennent de différentes religions. Ils peuvent néanmoins être considérés comme une branche du chiisme.
4 Une approche holistique vise à considérer la personne ou une situation dans sa globalité, sous ses différents aspects (social, psychologique, spirituel, matériel, etc.) et non à travers un seul type de besoin ou de problématique.