Chers frères et sœurs en Jésus Christ
Je vous écris pour partager la situation des protestants vivant dans la région de la Djézireh, dans le nordest de la Syrie. Je m’appelle Mathilde Sabbagh, je suis pasteure du «Synode Arabe »1 et première femme ordonnée au ministère en Syrie. Mon ordination a été célébrée le 3 avril 2022 mais mon ministère a débuté en juillet 2016 dans cette ville de Hassaké dont je suis originaire.
J’ai reçu l’appel de Dieu à servir son Église à l’âge de 13 ans. A l’époque j’en ai informé mon pasteur et ma famille mais pendant 10 ans cette dernière a rejeté cette décision. Je crois que mon père voulait vérifier ma vocation et me voir lutter pour cette idée : il m’a donné sa bénédiction 12 heures avant de décéder dans l’église où je sers aujourd’hui. Mon père restera toujours mon modèle et j’aime l’évoquer lorsque je parle de moi.
Après un diplôme en littérature anglaise, je suis allée étudier la théologie à la NEST2 avant de revenir en 2016 dans mon église, à Hassaké. La communauté n’avait plus de pasteur depuis deux ans et personne n’osait postuler dans cette zone dangereuse depuis le début de la guerre.
Une situation complexe et difficile
A partir de 2011 beaucoup de personnes ont quitté la Syrie en raison du conflit, notamment les chrétiens de notre ville. Aujourd’hui il n’y a chez nous plus que 2000 familles chrétiennes et la plupart sont composées de personnes âgées. Notre communauté s’est donc encore réduite et il ne reste aujourd’hui qu’une dizaine de familles protestantes. Cependant, grâce à notre ouverture œcuménique et à notre spécificité protestante, des centaines de personnes participent à notre vie communautaire.
Notre situation est difficile pour de multiples raisons. Sur le plan politique Hassaké est divisée entre le gouvernement syrien qui tient un périmètre de sécurité et les forces kurdes qui dominent toute la région du nord-est syrien. Ces dernières personnes nous étaient inconnues avant 2011 et leur projet politique n’est pas le nôtre. Par ailleurs nous avons en plein centre-ville, proche de notre église, la plus grande prison au monde de combattants de DAECH: environ 5000 hommes. En janvier 2022 il y a eu une violente tentative d’évasion et nous avons été menacés pendant une vingtaine de jours.
Bien sûr nous sommes affectés, comme ailleurs en Syrie, par la terrible crise économique : la dévaluation de la monnaie et l’inflation poussent aussi les jeunes gens à partir. Mais en raison de la séparation entre notre région tenue par les Kurdes et le reste du pays, certains aspects sont encore pires, comme le système de soins marqué par le départ des médecins et la pénurie de médicaments. Par ailleurs, depuis que les écoles gouvernementales sont sous le contrôle des Kurdes beaucoup d’enfants se retrouvent sans éducation. Les écoles privées chrétiennes essayent d’en accueillir davantage mais manquent de place. Notre école protestante est prévue pour 450 élèves mais en reçoit plus de 900! Les professeurs et le personnel qualifié manquent également. Comme beaucoup de jeunes partent, les personnes âgées se retrouvent sans soutien et nous n’avons pas de maisons de retraite. Enfin, depuis que la Turquie a envahi une partie de notre région, en 2019, son armée nous coupe l’approvisionnement en eau. Notre situation est donc bien spécifique.
Les défis d’une femme pasteure
Au milieu de tout ce chaos je n’ai pas non plus de bonnes nouvelles au niveau des relations œcuméniques avec les autres Églises 3 . J’ai été rejetée dès mon arrivée à Hassaké : comme théologienne protestante par les membres de clergés qui n’étudient que leurs propres traditions, et comme femme pasteure, mariée et mère de jumelles. Certaines Églises me dénigrent et d’autres m’acceptent mieux. Je ne suis pas invitée aux réunions œcuméniques et je sais que mon ordination et la célébration des sacrements leur posent problème. Je prie pour que cela change, surtout pour les membres restants des communautés chrétiennes. Car je suis bien acceptée par eux et c’est une bénédiction! Les musulmans et les responsables du gouvernement syrien me reconnaissent aussi.
Notre témoignage et notre engagement d’Église sont donc un défi: nous avons besoin de beaucoup de soutien. Les besoins sont énormes : les générateurs électriques, la rénovation de vieux bâtiments comme ceux de l’école, l’achat quotidien d’eau, le programme d’aide aux membres de la communauté (produits d’hygiène, colis alimentaires, aide pour le fuel en hiver…), le soutien aux professeurs et autres personnels, notre vie communautaire…: nous touchons chaque semaine 500 personnes de tous les âges.
Où trouver de l’Espérance ? En Christ seulement, tout autre espoir n’en est pas mais se résume à des mensonges. Nous ne voyons pas le bout du tunnel, mais je crois que le Christ marche avec nous dans les ténèbres. Et avec le Christ il y a l’Église universelle, ceux qui soutiennent les familles de Hassaké pour qu’elles survivent, ceux qui nous donnent de l’espoir et du courage pour rester. Nous faisons tous partie de la grande nuée de témoins qui sont reliés entre eux grâce au seul Christ.
Pour conclure je voudrais remercier l’ACO, ce partenaire fidèle qui fut à l’origine de notre école en 1936: celle-ci est toujours considérée comme la plus réputée de notre région.
e relation construite sur la prière et le soutien. Et je prie pour qu’un jour je puisse serrer vos mains avec joie dans votre pays pour parler davantage de notre situation. L’heure la plus sombre n’est peut-être pas encore arrivée, mais nous croyons qu’après la Crucifixion vient la Résurrection.
Dans l’amour du Christ Ressuscité, soyez bénis !
Par MATHILDE SABBAGH pasteure à Hassaké, Syrie
1 Le NESSL, National Evangelical Synod of Syria and Lebanon, la principale Église Réformée présente en Syrie et au Liban, membre de l’ACO Fellowship.
2 La NEST (Near East School of Theology) est la faculté de théologie protestante située à Beyrouth au Liban.
3 La Syrie compte onze confessions chrétiennes: à Hassaké il y a notamment, outre les protestants, l’Église syriaque orthodoxe, l’Église arménienne catholique, l’Église chaldéenne, l’Église syriaque catholique.