Un texte issu de la première émission du podcast Protestantes ! créé par Jérémie Claeys, mise en ligne le 18 septembre 2023.
Jérémie Claeys: Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur Protestantes!. Je suis fier de vous présenter ma conversation avec Joëlle Sutter-Razanajohary. C’était au mois de juin 2023, quand je me suis aventuré dans les couloirs de la Maison du protestantisme.
Joëlle n’aime pas les cases; elle préfère se dérober aux définitions et autres introductions. Pourtant, il y a beaucoup à dire sur elle. Pasteure depuis plus de 15 ans, Joëlle est entrée dans le ministère pastoral en 2008, quelques années à peine après que la Fédération baptiste de France – Fédération dont elle a été secrétaire générale pendant plus de 3 ans – n’accepte le ministère féminin. Elle est également la fondatrice du blog Servir ensemble, association visant la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes dans l’exercice des responsabilités ainsi que la lutte contre toute violence humaine dans l’Église et dans les couples. Autrice, elle a également publié deux livres: Qui nous roulera la pierre, (Empreinte Temps présent, 2018) sur la place des femmes dans l’Église, et Une Invitation à la danse (Olivétan, 2021), qui traite de la métaphore conjugale dans la Bible. Ensemble, nous avons évoqué son parcours, son enfance, sa foi, le patriarcat, les menaces, la colère et la réconciliation.
«Les attentes qui pèsent sur les femmes sont innombrables»
Bonjour Joëlle. Je suis très heureux de pouvoir discuter avec toi. Comment aimerais-tu compléter cette présentation?
Joëlle Sutter-Razanajohary: Pour commencer, je m’appelle Joëlle Sutter-Razanajohary, c’est-à-dire que je ne me définis pas uniquement par mon mari mais aussi par mes racines. Je suis d’origine alsacienne, mariée à un Malgache, j’ai 3 enfants et je suis grand-mère. Je suis également chrétienne évangélique, baptiste, pasteure de la Fédération des Églises évangéliques baptistes de France, écrivaine, blogueuse, secrétaire générale de la Fédération baptiste et, en dernier lieu, je suis une femme.
Pourquoi choisir de te décrire comme femme à la toute fin?
Bonne question. Si je citais cet aspect en premier, cela me catégoriserait et, comme tu l’as dit, je n’aime pas être catégorisée. Et la case femme est tout de même très particulière à vivre.
Peut-être trouveras-tu la question saugrenue mais… pourquoi?
Tu t’interroges parce que tu n’es pas une femme, justement! C’est probablement un lieu commun mais les attentes qui pèsent sur les femmes sont innombrables et bien plus importantes que celles visant les hommes. C’est une chose que j’ai mis longtemps à comprendre et encore plus longtemps à briser. C’est pour cette raison que je place ce qualificatif en tout dernier.
«J’avais la sensation quand je priais d’être face à une porte de frigo»
Remontons un peu le temps, si tu veux bien. Pourrais-tu me parler de ton arrière-plan personnel et du moment où la foi chrétienne a fait son apparition dans ta vie ?
Née dans une famille catholique pratiquante, j’ai suivi tout le cursus habituel: baptême, petite communion, grande communion, etc., et je l’ai fait avec une profonde sincérité. Je me souviens avoir posé des questions au prêtre de mon village, en Alsace, et que cela l’embêtait car il n’avait pas de réponses à me donner. Il n’y arrivait pas et, de surcroît, je perturbais le cours de catéchisme, ce qu’il ne supportait pas. Alors, quand j’ai fait ma grande confirmation, à 14 ans, en colère parce que la veille, le prêtre n’avait de nouveau pas répondu à ma question, j’ai dit en regardant au plafond de la nef:
«Si tu existes, je fais alliance avec toi. Mais tout ça – et je désignais par-là le chœur de l’église, les prêtres, l’évêque –, c’est fini».
Dès lors, il y a eu dans mon cœur une rupture avec l’Église catholique et avec ce système. J’ai commencé ma recherche, elle a duré cinq ans, jusqu’à cette rencontre, à 19 ans, avec une amie protestante qui m’a amenée à la Bible. C’est à ce moment-là qu’a eu lieu ma rencontre avec le Christ et le début d’un nouveau cheminement.
Comment s’est passée cette découverte?
Je passais par une phase difficile, de perte de sens, presque dépressive. J’étais atteinte de psoriasis sur une grande partie de mon corps, je souffrais physiquement mais les médecins me disaient que c’était dans ma tête (ce qui était vrai, selon toute probabilité!). Je m’étais lancée dans la moto (un scandale dans mon petit village!), je cherchais les sensations fortes, mais la moto aussi me décevait. D’autre part, je lisais la Bible depuis deux ans et, si j’avais compris que quelque chose résidait dans ce texte-là, je n’arrivais pas à rentrer pleinement dedans, je sentais une résistance sans comprendre d’où elle venait ni pourquoi j’avais la sensation quand je priais d’être face à une porte de frigo.
Tout cela a duré deux années, jusqu’à atteindre un état intérieur de grande tristesse et de refus de vivre. Je me suis enfermée pendant plusieurs mois, ma mère me nourrissait en posant l’assiette devant la porte de la chambre où je vivais, fenêtre fermée. Aujourd’hui, je dirais […]