Une lecture de l’évolution de la fête de la Nativité par le théologien Christophe Singer.
Il n’y a pas si longtemps, la question aurait surpris. Malgré les dénégations, l’héritage chrétien de l’Occident était encore assez évident pour que l’on se souvînt, à l’occasion, que le mot « Noël » venait de natalis, « (jour) de naissance », et que c’est de Jésus qu’il s’agissait.
Des évolutions sociétales
Un Jésus apprivoisé, certes : le mythe romantique de l’enfance innocente en avait fait le représentant des bons sentiments dont Noël devait être le catalyseur annuel. Fête de l’enfance, de la famille, de l’amour, des pauvres : les associations charitables cherchaient sous l’épaisseur des cœurs élevés dans le culte de la consommation quelques restes de compassion. On pouvait encore convoquer les mélodies des cantiques les plus connus à renfort d’arrangement sirupeux, afin d’émouvoir le quidam au rappel des Noëls d’autrefois.
Autrefois… quand on était soi-même enfant, fasciné comme le papillon par les lumières de la fête, percevant dans la douceur des chants et le parfum des bougies quelque chose de la vérité de l’existence qui prenait provisoirement le pas sur les contraintes habituelles. Ces veillées-là étaient marquées d’une joie teintée de tristesse, d’une fête qui n’est pas divertissement, mais plongée dans l’essentiel. Ce soir-là, les familles voulaient goûter la paix d’être ensemble. Les cadeaux venaient presque la troubler, cette paix, faisant piaffer d’impatience les plus jeunes. Ils étaient « en trop ».
Mais on les attendait quand-même fébrilement : la joie du Noël « authentique » était déjà mêlée de la jouissance anticipée de toutes les choses dont on pourrait se remplir. Le Père Noël était déjà arrivé d’Amérique avec sa hotte pleine de rêves préfabriqués.
Un déracinement chrétien
Depuis, l’Occident s’est détourné plus volontairement de ses « racines chrétiennes ». L’indifférence au christianisme s’est largement muée en hostilité, même dans les pays traditionnellement religieux. Autre interprétation possible : les sociétés occidentales se débarrassent des dernières écailles du vernis religieux que l’histoire a badigeonné sur des mentalités collectives qui n’ont jamais été chrétiennes au fond. De Noël, elles ont gardé la morale (promotion des valeurs humanistes) mais n’écoutent pas (si tant est qu’elles aient jamais écouté) le message : Dieu est pour toi, pas contre toi.
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