Dans son livre Repenser l’identité, le philosophe Kwame Anthony Appiah explique pourquoi notre identité est affectée par les étiquettes qui nous collent dessus. Il le montre par au moins trois aspects : tout d’abord, notre identité personnelle a souvent besoin d’être soutenue par une identité collective liée à un groupe ; ensuite, le fait d’assumer une telle identité nous donne parfois des raisons de faire des choses que nous ne ferions pas autrement ; et enfin, le fait que nous assumions une telle identité peut parfois donner aux autres des raisons de nous faire certaines choses.

Des identités toujours en transition : sortir des étiquettes toutes faites

Prenons l’exemple du pasteur. Cette étiquette se met en place en généralisant le cas d’un ou de plusieurs pasteurs (du passé, du présent et/ou dans l’idéal imaginaire). Un pasteur peut être amené à dire : je dois faire ceci ou cela parce que je suis pas- teur. Et les autres autour peuvent dire : on doit le féliciter car il colle bien à son étiquette. Tout va bien. Or, voilà que trois facteurs au moins complexifient aujourd’hui le lien entre l’identité personnelle et l’identité culturelle collective.

L’émancipation de l’humain, par l’esprit critique et rationnel, a tendance à questionner toute tradition héritée ou toute identité reçue, avant de la rejeter ou de mieux se l’approprier. Ensuite, la mobilité des personnes et des idées (globalisation) a accéléré les croisements des identités collectives et des traditions, permettant à chaque individu de faire son marché et de se constituer une identité personnalisée.

Enfin, les algorithmes de recherche sur l’Internet et les réseaux sociaux ont facilité l’émergence et la consolidation de nouveaux groupes (virtuels) inédits. La recrudescence des questionnements liés au genre, par exemple, montre l’impact de ce phénomène.

Une telle complexification des liens entre l’identité personnelle et l’identité collective tend à fragiliser l’individu en tant que sujet de ses pensées, de ses paroles, de ses choix, de ses actes. Cela accentue l’idée que l’identité est sans cesse questionnée, de plus en plus en transition.

Qu’est-ce qui permet de tenir lorsque les enclos qui protègent et sécurisent l’identité vacillent ?

Peut-on chaque fois se reconstruire par le « faire », comme Sarah, par exemple, qui offre sa servante à son mari, afin de donner un coup de pouce à l’accomplissement de la promesse divine ? Ou recourir au récit de soi, qui permet de recoller les morceaux de ce que nous sommes ?

Mais on peut alors se demander avec Whitehead comment faire avec notre mémoire qui ne retient pas tout : il y a des lacunes, des discontinuités, des manques. Faut-il essayer de réparer les fissures des murailles de notre tradition, comme le homard avec sa carapace ?

Même en transition perpétuelle, notre unité se trouve dans la mémoire du Dieu aimant

Ou bien dire, avec Whitehead, que l’unité de ce que nous sommes se trouve dans la mémoire éternelle d’un Dieu aimant ? Une telle identité ultime, qui demeure, même lorsque tout le monde se trompe sur nous, nous aidera à assumer tout manque identitaire, à ne pas vouloir rendre illimité ce qui est limité. Nous accepterons que notre identité soit sans cesse réformée par la Parole du Bon Berger, qui s’incarne dans notre transhumance, et qui, marchant devant, nous appelle par notre nom : « Va vers toi-même ! » Fortifiée dans la faiblesse, l’identité sans cesse offerte par cette Parole trouve le courage d’assumer toute transition demandée par le « périssement » ou le « changement » de ce qui nous entoure. »