Par Olivier Brès, président de la MPEF

Chacun a un gilet jaune dans sa voiture, sauf ceux qui n’ont pas de voiture (par manque de ressource ou par choix, il faudrait creuser ça !). Tous n’ont pas sorti leur gilet jaune ces jours-ci, mais nous sommes tous interrogés par l’ampleur du mouvement, par ses attentes, ses prises de positions. Les violences et les pillages ne doivent pas nous faire oublier les aspirations fortes qui se sont exprimées. La rédaction de Présence considère qu’on ne peut pas sortir un numéro de notre journal de la Miss Pop sans parler de cette actualité encore effervescente. J’écris le 3 décembre, au lendemain d’un samedi et d’un dimanche chargés. Qu’est-ce que je peux dire, personnellement ? Ce qui m’a frappé d’abord c’est la puissance du sentiment d’injustice, d’inégalité, qui a jailli en même temps en ressentiment et en revendications. On peut toujours affirmer que l’État redistribue, que les minima sociaux ont évité un appauvrissement dramatique, que la France est plus égalitaire que bien des pays ; beaucoup de nos concitoyens vivent comme un mépris la priorité accordée à l’investissement des riches. Et l’oubli des conditions de vie de ceux qui doivent prendre leur véhicule tous les jours a rajouté à ce sentiment de ne pas compter.

Liberté, égalité, braseros

Pour avoir traversé plusieurs carrefours et des péages occupés par des gilets jaunes, j’ai ressenti que s’étaient formées là des communautés chaleureuses qui se retrouvaient dans l’action, dans le partage de nourriture et de boissons, dans l’échange autour des braseros de palettes. Le nombre de femmes présentes donnait d’ailleurs une tonalité plutôt rassurante et amicale, par rapport à d’autres types de manifestations.

Ce qui m’a marqué aussi en écoutant, non pas les commentateurs, mais les personnes elles-mêmes quand on leur donnait la parole, c’est qu’elles affirmaient la possibilité de faire appel à l’intelligence collective des oubliés. Elles montraient la capacité de celles et ceux qui expriment une souffrance ou une révolte de les transformer en des demandes précises de politique publique. On peut discuter du contenu de ces demandes, mais elles manifestent une volonté de se réapproprier la dimension du choix politique qui semblait éteinte ou qui avait été enfermée dans des limites étroites.

Nous rendre attentifs

Pour nous à la MPEF, qui sommes plutôt présents dans des grandes villes, des Métropoles ou en région parisienne, je ne suis pas capable de dire si nous réunissons justement des personnes qui se retrouvent dans les gilets jaunes, ou plutôt des personnes installées et des personnes très marginalisées. C’est peut-être d’ailleurs notre limite actuelle de ne pas être pleinement dans les lieux où des personnes et des groupes se sentent à l’écart.

Cependant ce mouvement des gilets jaunes devrait nous rendre attentifs dans les Frats à la manière dont nous reconnaissons et mettons en valeur la dignité des personnes accueillies, quelles que soient leurs conditions. Comment nous faisons attention à ne pas doubler les inégalités économiques par du mépris social. Les formes de mobilisation nous rappellent aussi combien la dimension communautaire, chaleureuse, peut consolider les engagements. Enfin, nous sommes conviés à ne pas oublier la capacité, mais aussi le désir de chacun de participer à une élaboration politique à partir de son expérience de vie. Et à les cultiver dans les Frats.

Que deviendra le mouvement des gilets jaunes ? Je suis incapable de le dire au moment où j’écris ces quelques mots. Comme je suis incapable de savoir comment le gouvernement et les institutions seront en mesure de répondre réellement à leurs attentes. Dans ce climat d’incertitude, maintenons à la Miss Pop le cap de la constitution de communautés, productrices de fraternité et cultivant l’intelligence politique de tous et de toutes.