Pendant dix ans, entre 1990 et 2000, j’ai accompagné les quelque 120 envoyés du Service protestant de mission, le DEFAP, expatriés dans divers pays du monde, au service des églises partenaires. Nos liens étaient dépendants de la diligence de La Poste et de la régularité du courrier : les communications téléphoniques étaient hors de prix et les portables encore plus. Internet n’était pas encore accessible aux particuliers, en particulier dans les pays du Sud. Le départ des envoyés était marqué par une grande distance géographique et par une vraie rupture relationnelle.

Miracle de la technique

Il se trouve que j’ai été, à mon tour, dix ans plus tard, envoyé en Haïti pendant deux ans, laissant ma famille en France. Nous nous étions préparés à vivre cette distance géographique et relationnelle, mais voilà que Skype a débarqué dans notre quotidien ! Nous pouvions chaque soir nous retrouver pour discuter de visu, face à face, de notre journée, partager en temps réel notre quotidien : plus de distance et tout en temps réel, même si nous étions à 8 000 km les uns des autres et à six heures de décalage horaire ! Cet « outil » m’a permis, pendant tout mon séjour en Haïti, de voir régulièrement mon petit-fils d’à peine un an, lui parler et être en lien avec lui alors qu’il m’aurait été difficile de communiquer avec lui par écrit ou même par téléphone, d’être reconnu par lui lors de mes retours en France. Une réelle proximité, un vrai lien entretenu et vécu grâce à internet.

Irréel de la situation

Mais mon fils, qui avait alors huit ans, a ressenti l’irréel de cette situation. Au bout de quelques mois, il m’a dit qu’il voulait bien me parler par Skype, mais qu’il ne voulait pas me voir. Être en face de moi par écran interposé était pour lui une proximité illusoire et qui lui devenait insupportable. Cela lui donnait le sentiment d’une présence qui n’était pas réelle, d’une rencontre qui en fait n’avait pas lieu, d’un rendez-vous manqué et frustrant.

Réalité du face-à-face

La rencontre entre deux personnes n’est totalement réelle et possible que dans la réalité d’un face-à-face, dans le même espace et au même moment. Et, si la distance géographique est artificiellement effacée par des outils comme Skype ou WhatsApp, elle ne pourra pas se faire pleinement et faire disparaître sa dimension illusoire et virtuelle. Les outils de communication modernes peuvent faciliter et entretenir des liens réels et même permettre d’en créer certains qu’il aurait été impossible de pouvoir vivre sans eux. La communication par internet et les mises en lien qu’elle permet ne sont pas seulement virtuels. Mais il serait pourtant illusoire de penser qu’elle peut compenser totalement la distance et remplacer la nécessité de se rencontrer « pour de vrai ».