Quand elle est privée de son libre arbitre, la personne atteinte d’une maladie mentale ne peut pas être tenue pour responsable ni coupable du crime qu’elle a pu commettre.

Ce principe d’irresponsabilité est présent dès l’aube des civilisations. Elle figure dans le code babylonien, comme l’indique son inscription sur la stèle d’Hammurabi. Elle est reprise par Platon, dans son traité des Lois, qui affirme qu’on ne peut pas condamner un fou, et qui élargit même cette idée jusqu’à toute personne «si bien en proie à la maladie ou, tellement accablé par l’excès de vieillesse, ou à ce point tombé en enfance, qu’il n’y a aucune différence à faire entre lui et les fous proprement dits ».

La République romaine, dont est issue notre justice pénale, développe et précise cette idée. Elle affirme que la personne souffrant de maladie mentale est considérée comme innocente, non pas parce qu’elle n’a pas la capacité physique de faire le mal, mais parce qu’elle n’en a pas la capacité psychique, étant privée de son libre arbitre. En posant ce principe de philosophie pénale, le droit romain est le premier à établir la distinction fondamentale entre le fait criminel matériel, objectif, et l’intentionnalité du passage à l’acte, psychologique, subjective.

Afin de satisfaire l’opinion publique, qui pourrait ne pas comprendre cette absence de punition, la loi romaine précisera par la suite que la maladie dont souffre la personne est en elle-même la punition. N’ayant plus la capacité de mener une vie normale, handicapée à vie par sa maladie, la folie est son malheur. Comme le dit l’adage de l’époque : « Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre (ou punir) », la maladie mentale est le signe de la justice divine.

Le Moyen Age et l’Ancien régime vont conserver cette idée de l’irresponsabilité pénale en cas d’abolition du libre arbitre, idée que le christianisme viendra conforter. Traduit en termes théologiques, le péché ne se détermine pas autrement que par l’intention de celui qui le commet, que l’on résume dans la formule populaire : « il n’y a que l’intention qui compte ».

Plusieurs justices

De la chute de l’empire romain jusqu’à la Révolution française, pendant plus de mille deux cents ans, il va coexister dans la France féodale plusieurs justices (et codes de lois), qui se complètent et parfois se superposent : celle de la royauté, celle de l’église, et celles des municipalités dites « franches ». La justice royale a la prééminence sur toutes les autres et s’occupe des crimes les plus graves. La justice ecclésiastique juge toute infraction qui concerne les affaires de l’Eglise, toutes les atteintes au clergé ou à ses biens. Les justices des villes « franches » s’occupent des atteintes aux us et coutumes locales.

De façon schématique, la justice royale a pour objectif principal de lutter contre les troubles à l’ordre public, ce qui fait qu’elle s’intéresse essentiellement à l’acte matériel. Celui qui a commis un crime doit subir une peine équivalente, car il a déséquilibré la bonne marche de la société, sa punition doit donc servir à rétablir l’ordre public.

La justice ecclésiastique s’intéresse principalement à la dimension spirituelle de l’acte. Avant que d’être une faute, la transgression est d’abord un péché. L’intention du fautif est l’objet du procès, et la sanction n’est pas seulement une peine, elle surtout une exigence de repentance du coupable et de son amendement.

La Révolution française va supprimer ces différentes justices, et harmoniser tous les particularismes locaux en un code pénal unique. Sous l’influence des philosophes du siècle des lumières, et de juristes tels que Beccaria en particulier, les législateurs de la république vont renoncer à la justice « objective » royale et lui préférer une justice « subjective », inspirée de la justice ecclésiale. Leur premier souci sera de s’attacher à comprendre l’intentionnalité du criminel et de déterminer l’existence de son libre arbitre, ou bien son abolition. En conséquence de la laïcité républicaine, la justice examinera la volonté rationnelle de l’accusé et non plus son âme, elle ne cherchera pas à déterminer s’il est possédé par le diable, mais si son discernement a été aboli par une maladie psychique.

Cette réforme fondamentale de la justice et de la philosophie pénale s’accompagne de l’apparition d’une nouvelle discipline médicale : l’aliénisme, telle que la psychiatrie est appelée à l’époque. La justice faisant désormais face aux mystères de la science et non plus de la foi, ce n’est plus au prêtre ou au magistrat de poser le diagnostic de folie, c’est désormais à cette nouvelle catégorie d’expert, le psychiatre, que revient la charge de déclarer l’irresponsabilité pénale de l’accusé.

A suivre.