Par Laetitia Bastien, équipière-directrice de la Maison Verte (Paris 18e)

Les derniers évènements sanitaires mondiaux, nous ont fait constater une montée du racisme anti-asiatiques : quelques personnes non asiatiques avouent et assument s’éloigner des personnes qui ressemblent à des Asiatiques, de peur qu’elles soient toutes porteuses du virus corona et le leur transmettent.
La peur est une émotion qui engendre souvent des comportements non rationnels qu’il est difficile de condamner. Mais, au-delà de la peur, certains éprouvent un profond mépris pour les personnes différentes et estiment que les personnes racisées (personnes non blanches) sont inférieures aux personnes blanches. C’est ce que personnellement, je considère comme du vrai racisme : lorsqu’une personne non racisée est convaincue qu’elle est logiquement supérieure en tous points à une personne racisée et que cette infériorité se base sur l’unique critère de la couleur de la peau.

L’amère expérience du racisme

Cette définition m’a tristement rappelé qu’en tant que jeune femme à la peau noire (et même noir foncé, comme j’aime le souligner), j’ai aussi été victime de racisme. Née en France de parents naturalisés français, j’ai toujours embrassé cette culture tout en portant dans mon cœur la culture haïtienne, pays dont mes parents sont issus. J’ai toujours considéré que j’avais une double culture, bien que naturellement, ayant grandi en France, j’ai intégré les codes sociaux de ce pays.

Pourtant, début 2019, j’ai fait l’amère expérience du racisme en milieu professionnel. Alors sur un nouveau poste en tant qu’inspectrice des affaires sanitaires et sociales, ma supérieure a décidé que j’étais une incapable. Tout le service était satisfait de mon travail, sauf elle, allant jusqu’à inventer des erreurs, faire de la rétention d’informations ou me tendre des pièges pour me ridiculiser. Si les collègues ne m’avaient pas dit qu’elle traitait toutes les personnes noires de cette manière et que mon travail était satisfaisant, elle m’aurait aussi convaincue que j’étais mauvaise à ce poste. Après la première humiliation que ma cheffe m’a fait vivre, mes collègues ont accouru pour me dire que malheureusement, elle s’est comportée ainsi avec tous les noirs de son service et qu’ils sont plusieurs à avoir changé de service à cause de son attitude. Les personnes noires du service n’étaient pas non plus saluées par elle. Ces dernières années, les syndicats avaient été saisis mais jamais cette femme n’a été sanctionnée.

Après réflexion, j’ai la conviction que cette dame essayait de se persuader que je n’étais pas à la hauteur du poste. On ne peut forcer les personnes à nous apprécier, mais nous demandons au moins du respect. Il est temps d’intégrer que nous sommes tous des êtres humains et qu’aucun d’entre nous n’a le dessus sur d’autres, et encore moins sous le prétexte d’une couleur de peau.

Le racisme ordinaire

De manière plus légère, nous pouvons constater que les personnes racisées ont le privilège d’entendre bon nombre de réflexions sur leur physique : la texture de leurs cheveux, la forme de leur nez, l’épaisseur de leurs lèvres. Parfois, ces réflexions se veulent positives et pourraient presque valoriser tout un pays/une ethnie : «Dans votre pays vous savez tous danser, vous êtes bons à la course, vous faîtes de bons gâteaux arabes».

Et plus rarement car bien moins assumées, certains émettent des remarques clairement racistes et stéréotypées, l’air de rien : « Vous dégagez une odeur forte, vous êtes tous des voleurs, vous ne savez pas conduire, vous êtes plutôt manuels et pas trop cérébraux.»
Les remarques, même si elles se veulent positives à première vue, ne le sont en réalité absolument pas : il est anormal qu’une personne de l’entourage professionnel ou qui n’est pas un ami ou un proche se permette des remarques sur le physique de quelqu’un sous prétexte que ce physique est différent du sien. Faire des réflexions sur l’apparence de quelqu’un dont on n’est pas proche est parfaitement déplacé. Cela ne me viendrait pas à l’esprit de dire à ma collègue de bureau que je trouve ses lèvres très fines ou que je n’avais jamais vu des cheveux aussi raides (et au passage, je peux essayer de les tripoter sans lui demander si cela la dérange). Vous seriez-vous permis cette remarque avec un non-racisé ?

De même, évoquer un stéréotype sur l’ethnie de quelqu’un telle une vérité générale et ainsi, nier sa singularité comme si toutes les personnes issues d’un même pays étaient toutes des copies conformes avec les mêmes qualités et les mêmes défauts, c’est blessant.
Chaque personne est unique, bien que nos comportements et notre apparence soient influencés par notre culture (c’est ce que l’on appelle l’habitus en sociologie). Une couleur de peau différente n’est pas synonyme de mal ou d’infériorité. La richesse de ce monde réside dans la diversité de ses peuples et de ses cultures. Aucun de ces peuples ne prévaut sur les autres.

Le souvenir d’une réalité historique scandaleuse

Voltaire dans son Traité de métaphysique expliquait : « Les Blancs sont supérieurs à ces Nègres, comme les Nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres.» Quelle chance d’être considérés comme supérieurs aux singes!
Trêve d’ironie, aujourdhui au XXIe siècle, il semblerait que certains pensent encore que cette supériorité est avérée et justifient ainsi leur dédain des personnes racisées (car les philosophes des Lumières et d’autres penseurs politiques très lus tels que Kant ou Locke ne méprisaient pas uniquement les Noirs, mais aussi les Juifs, les Chinois, les Américains (qui à l’époque n’étaient pas blancs…). D’autres, se contentent de le penser dans leur for intérieur sans jamais le manifester par des actes. En réalité, cette pensée a encore une emprise sur notre société.

Le souvenir de la traite négrière pousse les personnes noires à lever la tête et à s’indigner de chaque discrimination raciale. Car la plus grande discrimination qui eut lieu fut de réduire les Noirs en esclavage et dans l’inconscient de beaucoup de Noirs, ce douloureux souvenir refait surface lorsque nous sommes victimes de discrimination. Inconsciemment, nous pensons : « plus jamais ». Plus jamais ce peuple ne sera traité comme des animaux, plus jamais il ne se verra infliger de souffrances de la part d’un autre peuple, plus jamais il ne subira de mauvais traitements à cause de sa couleur.
Et rappelons-nous : «On est tous l’étranger de quelqu’un.» (Tahar Ben Jelloun).