La société occidentale a depuis longtemps maintenu une tradition alternative à l’avortement et à l’infanticide. En France, l’abandon d’enfant s’inscrit dans un cadre juridique, offrant à celle qui ne veut pas (ou ne peut pas) assumer la vie qu’elle a portée une possibilité d’abandon. Dans le passé, ce fut d’abord le tour conventuel où était déposé discrètement le nourrisson, ensuite recueilli par des nonnes.  Ce tour d’abandon fut supprimé par la loi du 27 juin 1904 relative au service des enfants assistés. Il a été remplacé par un bureau d’admission de l’État, ouvert de jour comme de nuit, où une mère pouvait confier secrètement son enfant, sans décliner son identité. Ce service, tout en indiquant aux femmes les conséquences de cet abandon, leur proposait aide et soutien et prenait alors en charge l’enfant, désormais appelé « pupille de l’État ». Même si la législation montrait ici une première rupture avec la tradition du « tour », l’intérêt des origines n’était pas encore une priorité pour les autorités, soucieuses du devenir familial de l’enfant.

Les textes relatifs à l’adoption précisaient bien le cadre du recueil et de l’abandon de l’enfant comme de l’anonymat offert à la mère. En revanche, le droit au secret n’a été inscrit dans le code civil qu’en 1993. Il précise que, lors de l’accouchement, la mère peut demander le secret de son admission et de son identité.

« La question de l’enfant en grandissant reste inévitable et légitime : « Comment suis-je arrivé là ? »

Confié à l’Aide Sociale à l’Enfance, l’enfant est placé dans une perspective d’adoption, après le délai légal de rétractation offert à la mère de naissance. L’enfant ne connaît pas ses origines tenues par le secret demandé par cette mère, tel que le lui garantit la loi. Cela explique que de nombreux dossiers d’enfants, nés anonymement avant 2002, ne contiennent que peu de renseignements sur cette mère biologique. L’intérêt étant d’assurer à l’enfant une famille et de « vrais » parents. Pourtant, la question de l’enfant en grandissant reste inévitable et légitime : « Comment suis-je arrivé là ? »

Cette question engendre une profonde réflexion sur l’accompagnement de l’accouchement anonyme, qu’elle soit soutenue par ceux qui y sont opposés comme par ceux qui y sont favorables.

La recherche des origines pose la question de la filiation

Les problèmes identifiés, posés à ces enfants par le secret de leur naissance et la pression des enfants nés sous X, ont conduit le législateur à prendre position.

La loi du 22 janvier 2002, relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’État, crée une rupture profonde dans l’accompagnement de l’accouchement anonyme. L’anonymat reste garanti mais l’accès aux origines devient possible. Pour encadrer la recherche des origines, le CNAOP (Conseil National pour l’Accès aux Origines Personnelles) est créé. Cette possibilité de rompre le secret ne remet pas pour autant en cause l’accouchement anonyme. Les mères de naissance sont invitées à laisser des informations sur leur santé, les origines ethniques de l’enfant, les circonstances de la naissance et les motifs de l’abandon. Elles ont également la possibilité de laisser leur identité sous pli fermé. À sa majorité, l’enfant peut désormais avoir accès à ses origines personnelles.

Le CNAOP devient alors un intermédiaire pour le jeune qui recherche sa mère de naissance. Cette structure peut prospecter pour retrouver la mère biologique et permettre un contact si le « né sous X » en fait la demande. Pourtant, si les recherches aboutissent, la mère de naissance garde toujours le droit de refuser ce contact et de conserver l’anonymat demandé à la naissance de l’enfant, et cela même après son décès. L’accouchement anonyme montre un choix singulier pour la mère : accepter de donner la vie à l’enfant et renoncer à la parentalité.

Une filiation retrouvée ?

Le rapport aux origines est inévitable chez l’enfant et c’est une étape nécessaire dans la construction psychique vers l’âge adulte. Ce moment émotionnel sera vécu plus brutalement pour un enfant adopté qui, lui, sera « en quête » de ses origines. À son histoire parentale, il devra ajouter un lien filiatif inconnu. Cette recherche s’accompagne souvent d’un sentiment de déloyauté envers les parents adoptants, car l’enfant né sous « X » attend beaucoup de la levée du secret. Ces problèmes résolus, avec plus ou moins de facilité, donnent aux parents et à l’enfant le moyen de construire leur propre histoire de filiation dans le respect du vécu de chacun.

L’accouchement anonyme reste initialement une histoire de filiation rompue. L’accès aux origines personnelles de la loi de 2002 a permis à cette filiation d’être simplement interrompue. Le secret peut alors devenir « temporaire ».

« Quel équilibre trouver entre le droit à accoucher anonymement et le droit de l’enfant à connaître ses origines ? »

Quel équilibre trouver entre le droit à accoucher anonymement, c’est-à-dire le droit d’une femme qui choisit de ne pas être mère, et le droit de l’enfant à connaître ses origines ? L’accouchement anonyme suspend la filiation, le cadre juridique du recueil de l’enfant « l’interrompt » au profit d’une filiation retrouvée, que l’adoption affirme symboliquement. Dans ce contexte, le débat du secret des origines en matière d’accouchement anonyme ne remet pas seulement en cause le droit des femmes à accoucher dans le secret. Elle pose aussi la question du secret autour de la procréation : donneurs de gamètes ou d’ovocytes, recherche ADN.

Les opposants à l’accouchement anonyme invoquent la convention internationale des droits de l’enfant de 1989, ratifiée par la France en 1990, qui précise le droit de chaque enfant à connaître ses origines et d’être, dans la mesure du possible, élevé par ses parents biologiques. Ces associations insistent également sur les dommages psychologiques liés au secret de la filiation imposée à l’enfant né sous X. D’un accouchement anonyme, on s’orienterait davantage vers un accouchement dans la discrétion, assurant à la mère la possibilité de ne pas élever son enfant et à l’enfant d’avoir une famille.

L’engagement de La Cause

Depuis 1923, La Cause s’engage pour les enfants vulnérables ou privés de famille. Elle a pour vocation de trouver des parents aux orphelins qu’elle recueille ou qui lui sont confiés. L’accueil des femmes enceintes en difficulté est également un engagement de la fondation. Elle accompagne les femmes qui ne peuvent pas ou ne veulent pas assumer l’enfant à naître. Elle offre un espace neutre pour permettre aux femmes, dans cette réflexion, de prendre du recul afin de mesurer les conséquences de la décision qu’elles s’apprêtent à prendre et cela sans jugement. C’est un temps d’écoute où la femme peut librement exprimer les circonstances dans lesquelles elle décide de ne pas élever cet enfant. Elle peut aussi choisir de le garder au terme de cet accompagnement. Ce temps d’écoute est aussi un temps de confiance car, bien avant la loi de 2002, La Cause a su collecter les informations de la filiation biologique aujourd’hui disponibles pour la recherche des origines.

Véronique Goy, directrice du département Enfance de la fondation La Cause