Le 25 novembre 2009, l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) annonce la suspension de l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament, le Mediator, commercialisé par le laboratoire Servier et pris quotidiennement par près de 300 000 Français. 

Irène Frachon intègre en 1996 le Centre Hospitalier Universitaire (CHU) de Brest où elle monte un centre d’étude consacré à l’hypertension artérielle pulmonaire. En février 2007, elle assiste à l’examen d’une patiente depuis longtemps sous Mediator. Elle se souvient alors d’un article qui s’insurgeait contre le maintien sur le marché de ce médicament, en principe destiné aux diabétiques, mais largement prescrit aux personnes non-diabétiques, en surcharge pondérale. En octobre 2007, un cardiologue du CHU lui signale une patiente sous Mediator qui souffre d’une valvulopathie. Intriguée, Irène Frachon va alors s’intéresser de près à ce médicament. Elle découvre qu’il présente une forte proximité chimique avec l’Isoméride, autre coupe-faim du laboratoire Servier, interdit en 1997 pour avoir provoqué des décès par hypertension artérielle pulmonaire. Elle s’engage alors dans des recherches approfondies pour voir s’il n’existe pas d’autres victimes. Au cours de ses investigations, le docteur Frachon mesure avec effarement le poids de l’industrie pharmaceutique et la soumission intellectuelle et psychologique d’une grande partie des médecins à celle-ci.

Écrire son combat

Après le retrait du Mediator, elle décide de raconter son combat dans un livre : « Mediator 150 mg », sorti en juin 2010. Elle y relate le chemin semé d’embûches qu’elle a dû parcourir pour obtenir, ce retrait. Ses objectifs : « …permettre à chacun de comprendre comment sont prises certaines décisions de santé publique en France, contribuer au débat public constitutif de l’exercice de la démocratie, donner des clés pour comprendre ce qui s’est passé et “armer” le camp des victimes et des laissés-pour-compte ». À cette époque, Irène Frachon est omniprésente dans les médias : colloques, télé, radios, presse écrite, c’est un véritable tourbillon, mais un choix stratégique clairement assumé : « je savais que mettre ma «bobine» dans les journaux était aussi une façon de me protéger car ce n’est pas une affaire anodine », assure-t-elle. Elle n’a jamais subi de pressions du laboratoire Servier, à l’exception de cette action en justice qui a permis au laboratoire d’obtenir le retrait du sous-titre de la couverture de son livre : « Combien de morts ? » Drôle de destin pour Irène Frachon qui est même devenue sans l’avoir cherché, une héroïne de cinéma dans le film « La Fille de Brest »…

Lanceur d’alerte

La pneumologue brestoise s’est prononcée en faveur d’une législation permettant de sanctionner toute atteinte à l’expression d’une alerte légitime. Le projet de loi dit « Sapin 2 » pose les bases d’un statut juridique du lanceur d’alerte en France. Il a été adopté en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 juin 2016. Pour l’ONG Transparency International, cette définition reste trop restrictive. Avec d’autres, elle plaide aussi pour la mise en place d’un fonds ouvert à toutes les victimes d’effets indésirables graves de médicaments. Il manque une seule chose pour qu’un tel fonds existe : une volonté politique. Réformer, oui, toujours, dit-elle, mais résister, aussi !