Dans cette deuxième partie de son exposé sur Le droit de punir devant le groupe des juristes de Villemétrie en 1958, Paul Ricœur rappelle que la « vieille loi de rétribution » n’avait rien de spécifiquement chrétien et que le progrès du droit pénal a été de faire porter la responsabilité de la peine à la société dans le but de défendre la communauté, une limitation qui la définit comme « institution humaine visant au service du bien humain » et permet d’éviter « la divinisation du droit de punir » qui est « précisément sa démonisation ». Dans la première partie, Ricœur s’était d’abord étendu sur « la sécularisation de l’imputation » (c’est à dire comment « le droit a décollé l’infraction de toute idée de péché »), puis sur « l’extension de la zone d’irresponsabilité de l’homme » avec les progrès de la criminologie qui tend à « disculper l’homme » en trouvant les raisons du passage à l’acte ailleurs qu’en lui-même.

2. D’où procède le droit de punir ?

Je voudrais montrer ici, plus fortement encore que tout à l’heure, que la perte d’un certain fondement théologique n’est pas la perte de tout fondement théologique mais peut-être la redécouverte d’un fondement plus vrai. Nous constatons que le droit de punir des sociétés modernes s’est éloigné en apparence de toute référence religieuse. Mais de quoi au fond s’est-il éloigné ? Essentiellement d’une théologie de la colère, de la vengeance divine. Précisément, on peut se demander si ce fondement était spécifiquement chrétien. On est tout à fait frappé de voir qu’il a précédé le christianisme, il a même précédé la société hébraïque et au fond, il appartient à la couche archaïque de la conscience religieuse, celle de l’impur, celle de la souillure ; c’est là que nous avons la théologie de la vengeance ; c’est à ce niveau de profondeur (que le DHesnard appelait la « prémorale ») que la transgression d’un interdit déchaîne une puissance destructrice sans aucun égard pour la responsabilité du coupable parce que cette puissance vindicative, au fond, ne s’occupe pas des hommes mais d’elle-même si l’on peut dire. Elle vise à restaurer l’ordre aux dépens d’une victime quelconque et c’est pourquoi, comme on le voit dans les droits archaïques, on peut punir aussi bien un enfant, un fou, un animal, une chose. On voit bien là que la sanction est antérieure à la responsabilité : le sacré exige pour le prix de son intégrité une […]