Dans cet exposé lu et publié en 1958 dans le cadre des Entretiens de Villemétrie (1), Paul Ricœur veut « élucider et dissiper le malaise de certains théologiens, de philosophes et même de magistrats chrétiens » quant à  l’évolution de la justice ressentie comme hostile aux Églises et à la religion. Ricœur juge au contraire que cette évolution, visant à « comprendre le criminel au lieu de l’accuser et de l’accabler sous sa faute », n’est pas dirigée contre le christianisme mais contre « des thèmes chrétiens dégradés, pervertis, et même, contre un vieux fond religieux pas très chrétien, peut-être même anti-chrétien, contre une religion de la vengeance et de l’expiation qui n’est pas le christianisme ». Dans ce premier volet (sur trois), Ricœur, après avoir exposé ses intentions, s’attache d’abord à définir « ce que c’est qu’un crime, un délit, une infraction à la légalité ».

Le point de départ de ma réflexion est une tentative pour élucider et dissiper le malaise de certains théologiens, de philosophes et même de magistrats chrétiens qui sont en proie à un double sentiment ; d’un côté le sentiment que l’évolution actuelle du droit pénal s’est faite contre les Églises et contre leur théologie et, d’un autre côté, le sentiment que cette évolution n’est pas simplement inéluctable, comme si c’était le cas particulier d’un grand phénomène de laïcisation ou de sécularisation des sociétés modernes, mais qu’elle a un sens religieux caché […]